- « Parmi ces mots celui que Marx a utilisé plus souvent – presque plus souvent que communiste – a été l’association. Marx a décrit la société future comme« association qui abolira les classes et leur antagonisme » (Misère de la philosophie) et comme « association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition pour le libre développement de tous » | Manifeste communiste.... »

« L’association était une expression employée dans les cercles ouvriers en Angleterre pour signifier une union volontaire des travailleurs pour surmonter les effets de la concurrence. C’était aussi le sens donné par Marx : dans la future société les producteurs coopéreraient volontairement à promouvoir leur propre intérêt commun ; ils cesseraient d’être « la classe ouvrière » et deviendraient une communauté sans classes. »
Bien évidemment, ce texte vaut comme rappel de ce qui a été
longtemps « oublié », à supposer que ce ne puisse l’être encore...
Marx s’est couramment référé à la société qu’il envisageait
être établie par la classe travailleuse [1]
comme « société communiste ».Précisément parce qu’il croyait que « la
société communiste » résulterait de la lutte et du mouvement de la
classe travailleuse contre ses conditions de vie sous le capitalisme, Marx
s’est toujours refusé à en donner quelque portrait détaillé : c’était à la
classe travailleuse elle-même de l’établir. On trouve toutefois des références
dans ses écrits, publiés ou non, sur ce qu’il pensait devoir être les
dispositifs de base de la société nouvelle que la classe travailleuse
établirait à la place du capitalisme.
Libre association
Soulignons que jamais Marx ne distingue « la société
socialiste » et« la société communiste ». Jusque Engels et lui,
les deux mots signifiaient la même chose, étaient interchangeables pour décrire
la société qu’ils pensaient que la classe travailleuse établirait à la place du
capitalisme, ce que nous poursuivrons dans cet article.
En fait,
sans compter "communiste", Marx a utilisé quatre autres mots pour
décrire la société future : associated, socialised, collective et
co-operative (associée, socialisée, collective et coopérative). Tous ces mots
vont dans le même sens et mettent en évidence le contraste avec la société
capitaliste où non seulement la propriété et le contrôle de la production sont
privés, mais généralement aussi la vie, isolée et atomisée. Parmi ces mots
celui que Marx a utilisé plus souvent – presque plus souvent que communiste – a
été l’association. Marx a décrit la société future comme« association qui
abolira les classes et leur antagonisme » (Misère de la philosophie) et
comme « association dans laquelle le libre développement de chacun
est la condition pour le libre développement de tous » (Manifeste
communiste). Dans le volume III du Capital Marx écrit trois ou quatre fois que
la production sera contrôlée dans la future société par « les producteurs
associés »(éd. anglaise pp. 428, 430-1 et 800). L’association était une
expression employée dans les cercles ouvriers en Angleterre pour signifier une
union volontaire des travailleurs pour surmonter les effets de la concurrence.
C’était aussi le sens donné par Marx : dans la future société les
producteurs coopéreraient volontairement à promouvoir leur propre intérêt
commun ; ils cesseraient d’être « la classe ouvrière » et
deviendraient une communauté sans classes.
Pas d’État coercitif
Dans ces
circonstances il n’y aurait plus place pour un État conçu comme outil de
pouvoir politique au-dessus des gens. Selon Marx, l’État, en tant
qu’organe social de coercition, n’était nécessaire dans les sociétés divisées
en classes que comme outil (de classe) pour contenir des luttes (de classe).
Comme il l’a écrit, dans la société socialiste « il n’y aura plus de
pouvoir politique proprement dit, puisque le pouvoir politique est précisément
le résumé officiel de l’antagonisme dans la société civile » (Misère
de la philosophie) et "le pouvoir public perd[ra] son caractère
politique. Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé
d’une classe pour l’oppression d’une autre " (Manifeste communiste).
La société socialiste aurait besoin en effet d’une
administration centrale mais ce ne serait pas un « État » ou un
« gouvernement »parce qu’il n’aurait à sa disposition aucun moyen de
contraindre les gens, ce serait l’administration des choses sous contrôle
démocratique. Marx approuvait la proposition de Saint -Simon et d’autres
premiers critiques du capitalisme pour la« transformation de l’État en une
simple administration de la production »(Manifeste communiste), et a
également déclaré que « la liberté consiste à transformer l’État,
organisme qui est mis au-dessus de la société, en un organisme entièrement
subordonné à elle »(Critique du programme de Gotha). En d’autres termes,
une fois le socialisme instauré et les classes supprimées, les dispositifs
coercitifs et antidémocratiques de l’appareil d’État aurait été supprimés, ne
laissant que des fonctions administratives essentiellement dans le domaine de
la planification et de l’organisation de la production.
Propriété commune
Ressources naturelles et outils de production seraient tenus
en commun : Marx parle « d’une communauté des individus libres,
continuant leur travail avec les moyens de production en commun » (vol.
I, P. 78) et, dans sa critique du programme de Gotha, « de la société
coopérative basée sur la copropriété des moyens de production » (P.
22) et « des conditions matérielles de la production » étant
« la propriété coopérative des ouvriers eux-mêmes » (P. 25). Il est
significatif que Marx n’ait jamais défini la société communiste en termes de
propriété et contrôle des moyens de production par l’État, mais plutôt en
termes de propriété et contrôle par une association volontaire des producteurs
eux-mêmes. Il n’a pas donné d’équivalence entre ce qui s’appelle maintenant la
« nationalisation » avec le socialisme.
Production planifiée
Un autre dispositif de la société communiste, selon Marx,
serait la production planifiée. Il décrit une société « dans laquelle les
producteurs ajustent leur production selon les prévisions »(retrad. de
l’anglais, Vol. III, p. 256) et où la « production par les hommes
librement associés… consciemment réglée par eux selon un plan programmé »
(retrad. de l’anglais, vol. I, P. 80). La planification consciente, le contrôle
conscient des conditions de vie matérielles, était clairement pour Marx
l’essence du socialisme. Dans
les années 1840,quand il avait l’habitude de s’exprimer philosophiquement, Marx
soulignait toujours ce point. Était-ce ce qu’il a voulu dire quand il a écrit
que la vraie histoire ne commencerait pas avant que le socialisme ne soit
instauré ? (…) Le socialisme permettrait aux hommes de réconcilier leur
rapport à la nature ; seule une société consciemment planifiée serait une
société véritablement humaine, une société compatible avec la nature humaine.
Mais
l’approche de Marx de la planification dans le socialisme n’était pas
simplement philosophique. Elle était pratique aussi. Il était conscient du fait
que régler la « production selon les prévisions »serait une tâche
d’organisation énorme. Ce serait en effet, si vous voulez, le problème
économique du socialisme. Lier la production au social serait d’abord une
difficulté comptable. Les calculs utiliseraient comme mesure le temps de
travail, à savoir combien de celui-ci est nécessaire à la production
d’articles, et d’autre part la véritable demande sociale des divers articles
(par opposition au marché monétaire), le tout permettant de bâtir un plan en vue
de la répartition des ressources et du travail dans les différentes branches de
la production.
A certains endroits, Marx compare la façon dont le
capitalisme et le socialisme aborderaient les mêmes problèmes, par exemple un
projet à long terme déboucherait pas sur des produits finis les premières
années. Marx explique que c’est un problème sous le capitalisme, notamment de
retour financier sur investissement, mais qu’avec le socialisme ce n’est plus
qu’une question de planification (vol. II, pp. 315 et 358). Il en va de même
avec les erreurs dites de surproduction : sous le capitalisme elle
provoquent une crise et une baisse de la production, mais avec le socialisme
(où la surproduction serait par rapport à une vraie demande sociale et non un
marché) ce ne serait pas un problème, cela serait corrigé dans le plan suivant
(vol.II, pp. 468-469).
Dans sa critique du programme de Gotha (p. 22) et
dans le volume III (p. 854) du Capital, Marx évoque le produit social dans une
société socialiste : remplacement des moyens de production en amont
(matières premières, machines usées…) ; augmentation de la
production ; petit excédent comme réserve en cas d’accidents et de
catastrophes naturelles (nous pourrions ajouter : et d’erreurs de calculs
dans la planification) ; consommation individuelle des producteurs et de
ceux qui ne sont pas en capacité de produire (jeunes, vieux, malades) ;
consommation sociale des écoles, hôpitaux, parcs, bibliothèques, etc. ;
administration non liée à la production. Tout ceci semble évident, mais il
valait mieux le noter pour démontrer que Marx avait étudié les problèmes
pratiques de la planification de la production.
Abolition du marché
La société socialiste, c’est clairement exprimé par Marx à
plusieurs reprises, sera une société non-marchande, avec tout ce que cela
implique : pas d’argent, ni achats ni vente, aucuns salaires, etc. Il
concevait en fait la planification correcte et le marché comme
incompatibles : ou bien la production est réglée par un plan consciemment
pré-élaboré ou bien elle est réglée, directement ou indirectement, par le
marché. Quand Marx a parlé des hommes dominés sous le capitalisme par les
forces invisibles, c’est précisément les forces du marché qu’il avait en tête.
Pour lui le capitalisme était essentiellement une économie de marché dans
laquelle la distribution du travail et des ressources était déterminée par la
"loi de la valeur", l’achat et la vente (l’ "échange") et
l’argent. Bien que la production sous le capitalisme ne soit pas consciemment
planifiée, elle n’était pas tout à fait anarchique : un certain ordre
s’imposait de fait dans la mesure où les marchandises s’échangeaient dans des
proportions définies, liées à la quantité de temps de travail socialement
nécessaire passée à les produire et au taux moyen de bénéfice réalisé sur le
capital investi. (…) La production contrôlée et planifiée consciemment par la
société impliquait pour Marx non seulement la disparition de la production pour
le profit mais aussi du mécanisme entier du marché (marché du travail et
salariat compris).
Le Manifeste communiste parle précisément de l’abolition de
l’achat et de la vente (p. 72) et de l’abolition non seulement du capital mais
du travail salarié (p. 73). Dans le volume I parle du "travail directement
associé, une forme de production qui est tout à fait contradictoire avec la
production des produits" (p. 94) et dans le volume II du changement
"si la production était collective et non plus possédant la forme de
production des produits" (p. 451). Par ailleurs, Marx compare dans le
volume II les façons avec lesquelles socialisme et capitalisme peuvent traiter
un problème avec ou sans argent (…) le socialisme, sans argent-capital, n’étant
plus qu’une question de planification et d’organisation. Marx a aussi conseillé
aux syndicalistes d’adopter le mot d’ordre "Abolition du salariat"
(VPP, p. 78) et, dans sa critique du programme de Gotha, a dit que "dans
la société coopérative basée sur la propriété commune des moyens de production,
les producteurs n’échangent pas leurs produits" (pp. 222-23, retraduit de
l’anglais), pour la simple raison que leur travail n’est plus défini
individuellement mais est un élément d’un plan socialement défini. Ce que
chacun produit est collectivement à tous dès que c’est produit, la société
convenant, toujours selon un plan, comment le produit est utilisé.
Distribution des
biens de consommation
Une de ces utilisations doit être la consommation
individuelle. Comment Marx a-t-il pensé qu’elle serait organisée ? Ici
encore Marx a adopté une position réaliste. Le principe "de chacun selon
ses capacités à chacun selon ses besoins" s’appliquerait. En d’autres
termes, il n’y aurait aucune restriction à la consommation individuelle, chaque
membre de la société étant libre d’agir et de consommer selon ses propres
besoins. mais Marx savait que cela présupposait un plus haut niveau de
développement des forces productives qu’à son époque (1875). Dans l’attente de
cette augmentation, la consommation individuelle devait forcément être
restreinte. Comment ? Marx a simplement fait remarquer : "Le
mode de distribution variera avec l’organisation de la production de la
communauté et le niveau de développement atteint par les producteurs"
(Vol. I. p. 78, retraduit de l’anglais). C’était l’évidence, mais à trois à
quatre reprises Marx est allé plus loin et s’est référé à une méthode
spécifique d’organisation de la distribution.
En attendant mieux, par des "bons de temps de
travail". L’idée essentielle d’un tel système était que chaque producteur
se voit consigné une notification du nombre d’heures travaillées, ce qui
l’autoriserait à prélever dans le stock commun de richesses accumulées en vue
de la consommation une quantité équivalente, mesurée en temps de travail. Marx
signalait que ce n’était qu’un système possible parmi d’autres, la société
socialiste en déciderait démocratiquement elle-même, mais c’était une prise en
compte de la pénurie relative existant en 1875. Tant qu’un système de bons du
travail est mis en face de la richesse totale attribuée à la consommation, la société
peut varier les critères décidant de la mesure, de l’attribution individuelle
ou à des groupes, ou de la prise en compte de la relation entre temps souhaité
et temps passé à produire ; et des "pseudo-prix" attribués aux
marchandises dans le cadre de tels échanges distributifs. Marx lui-même a donc
décrit certains défauts du système des bons du travail, et remarqué que tout
système d’assignation de marchandises à la consommation individuelle risquait
des soucis dès lors que la société socialiste ne reposait pas sur un niveau
suffisant de développement des forces productives, ce qu’il appelait "la
première phase de la société communiste".
Quand Marx mentionne les bons du travail dans le Capital, il
explique toujours que ce n’est qu’un exemple (…) et que ces bons ne seraient
pas de l’argent au sens propre : "Le bon de travail d’Owen, par
exemple, est aussi peu de l’argent qu’une contremarque de théâtre" (Vol.
I, p. 94) et qu’ils "ne sont pas de l’argent, ils ne circulent pas"
(Critique de l’économie politique, pp. 83-86). Les bons ne seraient que des
bouts de papier autorisant les gens à retirer des quantités de biens de
consommation, ils ne seraient pas comparables au papier-monnaie d’aujourd’hui,
seraient déclassés sitôt remis et ne circuleraient pas. Ils s’inséreraient dans
un plan global de production et de distribution de la richesse. En conclusion,
répétons-le, tout système de bons, basé sur le temps de travail ou autre chose,
était vu par Marx comme une mesure provisoire en attendant que les forces productives
soient développées à un niveau permettant un saut dans le libre-accès aux
besoins individuels. C’est pourquoi cela est devenu un cas de
dissertation : le développement qu’ont eues les forces productives depuis
Marx permet aujourd’hui l’instauration presque immédiate du but final du
socialisme de libre accès aux biens de consommation selon les besoins
individuels.
Conclusion
Nous avons vu que Marx soutenait que la future société
communiste serait une communauté sans classes, sans aucun appareil d’état
coercitif, basée sur la copropriété des moyens de production, avec une
planification au service du bien-être humain remplaçant complètement la
production pour le profit, l’économie de marché, l’argent et le salariat – même
lorsqu’il ne pourrait prouver la faisabilité de la mise en application du
principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses
besoins », principe qui est toujours resté l’objectif de Marx. Marx, et
Engels, n’ont jamais fait quelque distinction que ce soit entre la société« socialiste »
et « communiste », utilisant ces termes l’un pour l’autre. Cependant,
il a pensé que cette société ne serait instaurée qu’après une « période…
de transition révolutionnaire » d’une certaine durée pendant laquelle la
classe ouvrière emploierait son contrôle du pouvoir afin de d’exproprier les
capitalistes et d’amener tous les moyens de production sous contrôle social
démocratique – mais sur ce point, le développement des forces productives
depuis l’époque de Marx entraîne la faisabilité d’une révolution socialiste
très rapidement, sans nécessité d’une période prolongée entre la prise du
pouvoir politique par la classe ouvrière et l’instauration du socialisme.
Note
[1] Le SPGB préfère qu’on traduise working class par "classe
travailleuse" plutôt que par"classe ouvrière", soulignant
par là qu’il s’agit des salariés et non seulement les ouvriers d’industrie.
Article publié sur le blog du
Parti socialiste de Grande-Bretagne