
Antonio Gramsci, co-fondateur du Parti communiste italien
(PCI), animateur du journal 1'Ordine Nuovo et du mouvement des comités d'usines
autogestionnaires de Turin en 1921, marxiste brillant qui aborda de multiples
questions théoriques essentielles dans ses "Cahiers de prison", reste
plus que jamais d'actualité. Souvent récupérée et détournée, tant par le
stalinisme que par le réformisme (politique ou académicien), sa pensée et son
apport au marxisme-révolutionnaire mérite d'être restitué dans toute sa richesse
et sa force subversive, c'est à dire critique et révolutionnaire. Nous avons
choisis d'aborder ici son apport au niveau de la nécessité d'une stratégie
d'hégémonie du prolétariat (pour favoriser la rupture révolutionnaire dans les
pays capitalistes avancés) ainsi que la question de l'autogestion.
Lénine pressentait, et Trotsky avec lui, que la révolution
dans les pays capitalistes développés serait infiniment plus difficile à
réaliser qu'elle ne l'avait été dans la Russie de 1917, même si une fois franchi
le seuil du renversement de l'Etat bourgeois, la dynamique révolutionnaire
serait plus profonde (1). Le tsarisme, maillon faible de l'Europe, s'était
écroulé comme un château de cartes. Le prolétariat n'avait en face de lui
qu'une bourgeoisie faible et comme allié une masse paysanne incapable par
elle-même de tracer un avenir pour toutes les nations de l'Empire. Ce furent
les conditions indéniables du succès.
Mais dès lors qu'il s'agissait d'étendre la révolution aux
pays développés, la difficulté apparut infiniment plus grande: l'échec des
révolutions hongroise, allemande, et plus globalement de toute la phase de
montée du début des années 20 en fut l'illustration tragique. Ces échecs, à leur tour, concoururent
puissamment à la stalinisation de l'URSS.
Gramsci & Trotsky
Gramsci fut de ceux, avec Lénine et Trotsky, qui tentèrent
de généraliser à l'Europe les leçons de la Révolution russe et de définir les
éléments d'une véritable stratégie dans les pays capitalistes alors que centre
du système. Un demi-siècle plus tard, il est frappant de constater à quel point
les deux élaborations peuvent se combiner dans une synthèse dialectique pour
éclairer les problèmes centraux de la révolution socialiste dans les pays
développés. Mais pour comprendre cette combinaison possible des deux démarches
enrichies à la lumières de l'expérience historique, il faut saisir ce qui les
différencie, ce qui ne signifie pas les opposer mécaniquement.
L'oeuvre de Trotsky se concentra sur un double problème:
d'une part, celui du "front unique", c'est à dire de la tactique,
voire des éléments de stratégie nécessaires à la mobilisation, et donc à la
transformation par l'action de la conscience de prolétariats restés dominés
globalement par le réformisme (d'abord celui de la Ile Internationale, puis le
néo-réformisme stalinien); d'autre part, la question du "programme
transitoire ", précisément capable de jeter les bases d'une mobilisation,
qui parte des revendications nées de la crise capitaliste elle-même pour
déboucher sur la nécessité du renversement de l'Etat bourgeois.
Gramsci cessa prématurément, de par son emprisonnement,
d'être confronté à l'actualité immédiate et aux nécessités de diriger des
formations militantes pour l'action. Mais ce n'est pas la seule raison pour
laquelle son oeuvre se situe sur un terrain différent de celui de Trotsky, car
ces différences s'expriment aussi dans la période allant jusqu'en 1926 lorsque
Gramsci était un dirigeant d'organisation.
Pour simplifier, on peut dire que si l'oeuvre de Trotsky, pourtant
de dimension universelle, resta dans une certaine mesure marquée par les
limites de l'expérience russe, c'est dans le présupposé plus ou moins explicite
que la tactique révolutionnaire devait permettre de révéler le potentiel
révolutionnaire spontané du prolétariat européen, créer les conditions pour que
le mouvement inconscient devienne conscient. Dans les "Discussions sur le
programme de transition", Trotsky insiste avec justesse sur la
détermination première d'un programme révolutionnaire par les conditions les
plus objectives de la crise du système capitaliste. Les revendications
transitoires visent précisément à faire prendre conscience de l'impossibilité
pour le grand nombre de refuser les conséquences de la crise sans renverser
l'Etat bourgeois.
La démarche du "Programme de transition", que
Trotsky définissait comme "un programme d'action aujourd'hui jusqu'au
début de la révolution socialiste" (3), visait bien à permettre une
certaine expérimentation de ce programme par les travailleurs dans le cours
même de la lutte. La démarche, ici, peut être mise en relation avec la
problématique de conquête de l'hégémonie d'Antonio Gramsci. Cependant cet
aspect de l'oeuvre de Trotsky. dont le "Programme de transition"
réalise une synthèse, reste contradictoire avec d'autres écrits où la médiation
entre le programme et sa pénétration dans les consciences est davantage limitée
à une agitation bien menée de l'avant-garde organisée. Cette vision réductrice
n'est pas le seul fruit de l'isolement de celle-ci dans la fin des années
trente ou, pour reprendre cet exemple, du caractère limité des luttes de masse
aux Etats-Unis, où Trotsky réalisa les "Discussions" déjà citées avec
des militants américains.
Le parti révolutionnaire et son programme possédaient bien,
dans la conception de Trotsky, jusqu'à un certain point, une fonction
messianique, qui devait révéler aux masses leur conscience vraie, portée en
elles de façon inconsciente, dans les épisodes cruciaux des crises
révolutionnaires. Ce qui n'était qu'une limite, perceptible aujourd'hui à la
lumière de l'expérience historique, devait par la suite devenir une véritable
caricature dans un certain nombre d'organisations prétendument héritières de
Trotsky.
Certes, en s'attaquant au problème de la domination réformiste
sur le mouvement ouvrier européen, en généralisant et systématisant la démarche
de Lénine dans "La maladie infantile du communisme", en revenant à de
nombreuses reprises sur les problèmes posés par l'existence de l'aristocratie
ouvrière, Trotsky montrait bien comment la phase préparatoire de la révolution
conditionnait la possibilité de la révolution elle-même. Sa généralisation du
problème du front unique montre qu'il avait clairement perçu la dimension de
"guerre de position" des révolutions européenne. L'expérience
historique a montré que les problèmes de la stratégie révolutionnaire dans les
pays capitalistes combinaient les problèmes de direction, de programme et de
transformation du mouvement ouvrier dans sa texture même pour espérer faire
parvenir les contradictions du capitalisme à maturité.
La spécificité de l'oeuvre de Gramsci, c'est l'insistance
sur le caractère non seulement "dominé" mais "aliéné" de la
conscience des prolétariats européens. Selon lui, une stratégie révolutionnaire
n'a pas seulement pour but de révéler au prolétariat sa conscience vraie. Car
le prolétariat est aussi porteur d'une fausse conscience, produit de son statut
de classe dominé. Il s'agit donc tout autant de transformer et de bâtir cette
conscience dans le cours même du processus, de créer pour le prolétariat les
conditions "culturelles" de la révolution. Pour Gramsci, un degré
suffisant du passage du prolétariat de classe en soi en une classe pour soi est
une condition de la révolution sociale. Il ne suffit pas que les contradictions
organiques du capitalisme parviennent à maturité par la propre dialectique
objective du système pour que le prolétariat prenne conscience et se saisisse
du pouvoir. La cruelle et soudaine expérience du fascisme en Italie en fut une
malheureuse démonstration.
L'existence d'une parti révolutionnaire audacieux, stimulant
les couches actives du prolétariat pour leur permettre d'exploiter les
éphémères occasions où la classe dominante et son Etat laissent un vide, reste
certes un facteur indispensable. Ici, à l'inverse de l'oeuvre de Trotsky, celle
d'Antonio Gramsci n'aborda que rarement les problèmes spécifiques de la
conquête révolutionnaire du pouvoir, qui trop souvent semble ramenée à la
conséquence naturelle d'un triomphe de la "guerre de position";
l'interprétation réformiste de son oeuvre, si elle est abusive, n'est donc pas
purement fortuite.
Cependant, l'apport de Gramsci est de montrer qu'il existe
une pré-condition aux autres, d'ordre plus général. L'avant-garde du
prolétariat, ses partis révolutionnaires et ses couches actives, doit devenir
une candidate "légitime" au pouvoir. Cette légitimité historique doit
être perçue non seulement par les autres couches exploitées au prolétariat,
mais surtout par l'ensemble des couches du prolétariat lui-même, de ce fait, il
n'est pas surprenant que Gramsci dans l'élaboration du concept
"d'hégémonie" ait pris comme modèle la domination bourgeoise. C'est
que, dans les pays capitalistes développés, et précisément à l'opposé relatif
de ce qu'était le tsrarisme, le pouvoir des classes dominantes s'exerce au
travers d'un mélange de coercition et de consensus n'est pas le simple fruit
d'une résignation du prolétariat mais de l'intériorisation d'un certain nombre
d'institutions, de mécanismes sociaux comme"légitimes".
Comme l'a montré Perry Andersen (4), les distinctions entre
l'Etat comme siège de la coercition et la société civile comme lieu du
consensus sont arbitraires, et dans cette répartition entre les deux mécanismes
de la domination bourgeoise, l'Etat et la société sont également partagés.
L'organisation du travail comporte des éléments de coercition majeurs, et le
parlementarisme est un des piliers de la légitimité du pouvoir bourgeois.
Le mouvement révolutionnaire du prolétariat doit apparaître
comme un alternative d'ensemble au pouvoir bourgeois, à la crise de son système
économique, de ses valeurs morales, de ses institutions. Renverser l'Etat
bourgeois, c'est pouvoir justifier la contre-coercition du prolétariat, et les
conséquences d'une guerre civile, même limitées au minimum, par une supériorité
de la légitimité historique. L'acquisition de cette légitimité est le problème
central de l'oeuvre de Gramsci, qui permet de comprendre sa polarisation sur le
problème des intellectuels et sur celui de l'hégémonie. Son oeuvre de maturité
(les "Cahiers de prison") n'est pas seulement abstraite
de par l'élargissement "philosophique" de la
réflexion mais aussi évidemment par sa rédaction en prison sous l'oeil de la
censure et par l'utilisation de constantes métaphores, comme en tiennent lieu
le plus souvent les comparaisons entre les questions de stratégie
révolutionnaire et les questions militaires.
Si l'oeuvre de Gramsci a pu être utilisée à tant de fins
différentes, c'est aussi pour cette raison. Pourtant, la continuité de sa
pensée apparaît clairement lorsqu'on réexamine la totalité de ses écrits, et
l'oeuvre de prison apparaît comme le prolongement et l'extension de la
réflexion menée au cours de la vague révolutionnaire de l'Italie de l'après-guerre.
Autogestion à Turin
Le mouvement des conseils ouvriers de la FIAT à Turin
représente, pendant plus de deux années, l'axe de la situation
pré-révolutionnaire que connaît l'Italie de 1919 à 1921. Pour Gramsci, leader
du groupe Ordine Nuovo, le mouvement des conseils turinois n'est pas une simple
mobilisation politique, il dessine par sa profondeur et sa durée les traits du
futur pouvoir prolétarien. Turin était devenue "le creuset historique de
la révolution communiste italienne" (5).
Dans le mouvement des conseils turinois, les métallurgistes
ne s'étaient pas contentés en effet d'occuper les usines mais avaient entrepris
le redémarrage de la production sous leur propre contrôle. Une telle pratique
autogestionnaire constituait aux yeux de Gramsci un élément décisif de la
stratégie révolutionnaire: "La classe ouvrière se serre autour des
machines, crée ses institutions représentatives comme fonctions du travail,
comme fonctions de l'autonomie conquise, de la conscience conquise d'un
auto-gouvernement. le conseil d'usine est la base de ces expériences positives,
de la prise de possession de l'instrument de travail, c 'est la hase solide du
processus qui doit culminer dans la dictature; dans la conquête du pouvoir
d'Etat à diriger vers la destruction du chaos; de la gangrène qui menace
d'étouffer la société des hommes, qui corrompt et dissout la société des
hommes" (6).
De l'occupation des usines, de la remise en cause de la
hiérarchie industrielle, Gramsci voyait se dessiner pour le prolétariat le chemin
de la fameuse "hégémonie" qui devait lui permettre de se porter
candidat au pouvoir, dans cette mesure même, Gramsci voyait dans le mouvement
des conseils, comme mouvement autogestionnaire s'étendant sur des mois, une
expérience-pilote, une introduction aux tâches de la transition vers le
socialisme. Si leur accomplissement ne pouvait s'envisager à large échelle
qu'une fois l'Etat bourgeois renversé, leur actualité et le début de leur
réalisation, tout comme la nécessité d'un Etat ouvrier, s'exprimaient dans le
coeur même de la lutte des conseils turinois.
"Le terrain du contrôle est bien, écrivait-il, en dernière analyse
le terrain sur lequel bourgeoisie et prolétariat s'affrontent pour se disputer
la position de classe dirigeante des grandes masses populaires. Le terrain du
contrôle est donc bien la base sur laquelle, après avoir conquis la confiance
et le consentement des grandes masses populaires, la classe ouvrière construit
son Etat, organise les institutions de son gouvernement auquel elle appelle à
prendre part toutes les classes opprimées et exploitées, la base enfin où elle
commence le travail positif d'organisation du nouveau système économique et
social. Au cours de la lutte pour le contrôle - lutte qui ne se déroule pas au
Parlement mais est une lutte révolutionnaire de masse qui implique une activité
de propagande et d'organisation du parti historique de la classe ouvrière, le
Parti communiste - , la classe ouvrière doit acquérir, spirituellement et en
tant qu 'organisation, la conscience de son autonomie et de sa personnalité
historique. (...) Cette forme d'organisation ne peut être que le conseil
d'usine et l'organisation, au plan national, du conseil d'usine. (...) Cette
lutte doit viser à démontrer aux grandes masses de la population que tous les
problèmes essentiels de la période historique actuelle, (...) ne peuvent être
résolus que lorsque le pouvoir politique tout entier , seront passé aux main de
la classe ouvrière; en d'autres termes, la conduite de la lutte s 'orientera
vers l'organisation autour de la classe ouvrière de toutes les forces
populaires en révolte contre le régime capitaliste, cela. afin d'obtenir que la
classe ouvrière devienne la classe dirigeante et qu 'elle guide toutes les
forces productives vers leur émancipation grâce à la réalisation du programme
communiste” (7).
Les analogies avec la démarche de Trotsky autour des
revendications transitoires sont ici évidentes. Mais Gramsci introduit dans la
démarche un facteur supplémentaire: celui d'expérience du pouvoir partiel du
prolétariat au sein de la société capitaliste, comme élément de maturation de
son expérience historique et qui ne se réduit pas à la simple situation de
"double pouvoir" préludant à l'insurrection qui fut celle de
l'automne 1917 en Russie.
Que les travailleurs aient décidé la remise en marche des
ateliers et de contrôler eux-mêmes directement la production avait pour Gramsci
une valeur sociale générale. Elle permet d'abord de montrer la capacité du
prolétariat sur le terrain même de "l'efficacité économique":
"Pendant la période d'occupation et de gestion ouvrière directe, lorsque
la majorité des techniciens et des employés de l'administration eu déserté le
lieu de travail et qu'une importante partie du personnel ouvrier eut été
prélevé pour remplacer les déserteurs et accomplir les fonctions de
surveillance et de défense militaire, le niveau de production fut plus élevé
que pendant la période précédente, caractérisée par la réaction capitaliste qui
suivit la grève générale (8)".
Au delà, la pratique autogestionnaire permet au prolétariat
la prise de conscience de sa force historique et lui permet vis-à-vis des
autres couches exploitées de se constituer en force hégémonique
du processus révolutionnaire.
Comme le souligne avec justesse André Tosel dans sa
remarquable introduction aux " "Textes de Gramsci": "Tel
est le contenu de l'expérience formatrice décisive qui a été celle des conseils
d'usine de Turin: l'autogestion entière de l'usine pour investir la société
ouvrière et l'Etat. A la différence des autres expériences
"conseillistes" d'Europe (Allemagne, Hongrie), le
"conseillisme" du jeune Gramsci est d'emblée économique
ethico-politique (9) ".
La démarche de Gramsci peut-elle déboucher sur une
conception gradualiste de la prise de pouvoir et sur l'inutilité d'une phase de
"guerre de mouvement" permettant au prolétariat de s'emparer du
pouvoir et de détruire la machine d'Etat capitaliste?
Comme nous l'avons vu, cette interprétation ne peut découler
que de l'isolement, en dehors du contexte général de son oeuvre, de quelques
passages des "Cahiers de prison". En réalité, comme celle de tous les
grands théoriciens marxistes, l'élaboration de Gramsci trouve sa force dans la
compréhension de la dialectique des contradictions de la réalité, comprise
comme totalité en mouvement.
Aussi, en même temps qu'il insiste sur la valeur stratégique
d'expériences d'autogestion dans le cadre capitaliste, Gramsci souligne le
caractère limité de ces expériences, et le caractère incontournable de la
nécessité de la prise du pouvoir d'Etat. "Il faut que le pouvoir lui-même
passe aux mains des travailleurs, mais ceux-ci ne pourront jamais l'obtenir
tant qu'ils s'imaginerons pouvoir le conquérir et l'exercer au travers des
organes de l'Etat bourgeois.
L'action de défense des travailleurs mené par les syndicats,
la constitution d'organes socialistes, les expériences socialistes en régime
bourgeois, la conquête incessante de nouveaux postes dans les organismes avec
lesquels les bourgeois gouvernement la société, tout cela est devenu
insuffisant, inutile (10)". C'est qu'immédiatement dans le sillage de
l'expérience autogestionnaire de Turin, l'aile réformiste du PSI et les
structures syndicales qu'elle contrôlait s'était empressé de s'engager dans une
vaste négociation avec le patronat sur l'institutionnalisation des conseils
comme organes de cogestion de l'entreprise. En même temps qu'il souligne que
les travailleurs peuvent y trouver un pouvoir réel, Gramsci insiste sur les
dangers de l'enlisement dans le cadre de l'ordre existant.
De façon parallèle, l'insistance sur la nécessité pour le
prolétariat de conquérir l'hégémonie sur une grande partie des forces
exploitées et dominées n'élimine pas le problème du parti révolutionnaire,
précisément parce que les expériences autogestionnaires ne peuvent connaître
qu'une destinée limitée au sein du capitalisme. Un parti apparaît indispensable
pour synthétiser l'expérience, la transmettre, aider à ce que chaque expérience
s'empare des acquis des précédentes et, surtout, d'efforcer en permanence à la
convergence des expériences et à leur éducation dans la perspective de la
nécessaire rupture révolutionnaire.
Au congrès de Lyon de 1926, le PCI synthétisait les riches
années de sa fondation, marquée par l'expérience révolutionnaire puis par
le fascisme, en combinant la réflexion sur les conseil ouvrier, le front
unique, les revendications transitoires. Mais cette réflexion, sans doute la
plus élevée au sein d'une direction de parti de la IIIe Internationale en
Europe dans les années 20 se combinait déjà avec la stalinisation du PCI.
Dans les thèses, pourtant, Gramsci esquisse pour le Parti
communiste une conception de son rôle de direction qui s'infléchit sensiblement
par rapport à une interprétation "dirigiste", mécanique du léninisme.
"(...) Il ne faut pas croire, écrit-il, que le Parti puisse diriger la
classe ouvrière en s'imposant à elle de l'extérieur et de façon autoritaire:
cela n 'est pas plus vrai pour la période qui précède la prise de pouvoir que
pour celle qui lui succède. L'erreur que représente l'interprétation mécanique
de ce principe doit être combattue dans le parti italien comme une conséquence
possible de déviation idéologique d'extrême gauche. Ces déviations conduisent à une
surévaluation arbitraire et formelle du rôle dirigeant du parti. Nous
affirmons que la capacité de diriger la classe ne tient pas au fait que le
parti se proclame " son organe révolutionnaire ", mais au fait qu 'il
parvient " effectivement ", en tant que parti de la classe ouvrière,
à rester en liaison avec toutes les couches de cette même classe, à impulser
les masses dans la direction souhaitée et la plus favorable, compte tenu des
conditions objectives. Ce n 'est que comme conséquence de son action parmi les
masses que le Parti peut obtenir d'elles d'être reconnu comme " leur parti
(conquête de la majorité) et s'est à cette condition seulement que le Parti
peut se prévaloir d'être suivi par la classe ouvrière. Cette action dans les
masses est un impératif qui l'emporte sur tout "patriotisme " de parti
(11).
Notes
(1) Léon Trotsky, " Où va l'Angleterre ", Ed.
Antropos, Paris 1971.
(2) Léon Trotsky, " Discussion sur le programme de
transition ", série Classiques rouges.Ed. Maspero, Paris 1972.
(3) Ibidem.
(4) Perry Anderson, "Sur Gramsci ", Ed. Maspero,
Paris 1978.
(5) Antonio Gramsci, " Le programme de 1' Ordine Nuovo
", in " Ecrits politiques ", I, Ed. Gallimard, Paris, 1974.
Gramsci, " L'instrument de travail ", in " Ecrits politique 1
", Ed. Gallimard, Paris
1974.
(7)
Gramsci, " Contrôle ouvrier ", in " Ecrits politiques II
". Ed. Gallimard, Paris, 1974.
(8)
Gramsci, " Gestion capitaliste et gestion ouvrière", in " Ecrits
politiques II ", Ed. Gallimard, Paris 1974.
(9) André
Tosel, préface à " Gramsci, Textes ", Ed. Sociales, Paris 1983.
(10)
Gramsci " Socialiste ou communiste ", in " Ecrits politiques II
", Ed. Gallimard, Paris 1974.
(11)
Gramsci, " Thèses du IIIe Congrès du PCI, thèse XXXVI ", in "
Gramsci, Textes, " Ed.Sociales, Paris 1983.
Chronologie d’Antonio
Gramsci
1891: 22 janvier, naissance à Ghilarza en Sardaigne.
1908: Au lycée de Cagliari. Débute dans le journalisme et
fréquente les milieux socialistes
1911: Etudiant à la Faculté des lettres de Turin.
1914: Milite dans la fraction de la gauche révolutionnaire
du PSI
1916: Journaliste à "l'Avanti".
1917: Soutien la révolution russe de février. Août: émeutes
à Turin pour le pain et la paix. Fait partie du collectif désigné pour
remplacer les dirigeants socialistes emprisonnés.
1919: Fonde le journal l'Ordine Nuovo avec Tasca, Togliatti,
Terracini. Juillet: grèves à Turin. Gramsci soutien l'adhésion du Parti
socialiste à la IIIe Internationale, lors du Congrès de Bologne.
1920: Mars: grève à la Fiât, puis dans toute la métallurgie
de Turin. Gramsci soutien le mouvement et critique, en accord avec la section
turinoise, l'attitude du PSI. Août-septembre: élargissement de la grève. Occupation ouvrière des usines.
Expérience des conseils ouvriers.
1921: 21
janvier: scission du PSI au Congrès de Livourne. La minorité (dont
Gramsci) fonde le Parti communiste italien dirigé par la fraction gauchiste de
Bordiga.
1922: 22 octobre: Marche sur Rome de Mussolini.
1923: Gramsci est à Moscou, représentant du PCI à l'Exécutif
de l'Internationale. Novembre: envoyé à Vienne pour suivre la réorganisation du
PCI, réprimé par le fascisme
1924: Elu député (Vénétie), rentre en Italie. Août: Gramsci devient secrétaire du
PCI.
1926: 23-26
janvier: Congrès du PCI à Lyon. Gramsci lutte pour affirmer le nouveau groupe
dirigeant, pour éliminer de la direction Bordiga, et pour faire approuver la
stratégie du "bloc antifasciste". 8 novembre: arrestation de
Gramsci.
1927: Février, transféré à la prison de Milan. Juin:
condamné à 20 ans de prison.
1928: Juillet: transféré à la prison de Turi, gravement
malade.
1929: Commence la rédaction des "Cahiers de
prison".
1931: Janvier: Gramsci fait connaître à ses camarades de
parti, emprisonnés avec lui, son désaccord sur la nouvelle stratégie de
l'Internationale après l'abandon de la tactique de du "Front unique".
Critique la théorie assimilant la social-démocratie au fascisme. Cette attitude
l'isole de la politique du groupe dirigeant du PCI.
1932: Aggravation brutale de la santé de Gramsci
(tuberculose, artériosclérose).
1933:
Octobre: une campagne internationale obtient son transfert dans une clinique.
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1935: 24
août: Transféré dans une clinique à Rome, ne peut plus travailler.
1937: 21 avril: fin officielle de sa peine de prison.
Prépare son retour en Sardaigne. 27 avril, mort de Gramsci le jour prévu pour
son retour.