Cet article tente de présenter les contributions
fondamentales d’Antonio Gramsci à la théorie de la transformation sociale
révolutionnaire. En particulier il s’attache au rôle du parti révolutionnaire
en tant qu’institution centrale du conflit révolutionnaire : sa position en
tant que « prince moderne » et « intellectuel collectif »
et sa relation avec les différents acteurs sociaux-politiques (ses alliés et
opposants, les différentes classes, l’État et la société civile).
Ce faisant je traite également la contribution de Gramsci à
la théorie et à la pratique démocratique, au travers du prisme du conflit
social, du mouvement social et du parti révolutionnaire. Cela renvoie aux
questions de la participation des masses et du concept de la « volonté
générale », aux rapports entre « l’avant-garde » idéologique et
les masses, à la tension entre les concepts du « centralisme
démocratique » et de la « démocratie directe », aux dangers du
substitutionnisme, etc.
J’essayerai également d’identifier les éléments — implicites
dans la pensée de Gramsci — qui renvoient à la question de la construction de
la paix. Je pense au rapport dialectique entre la guerre de position et la
guerre de mouvement, à celle de l’hégémonie idéologique et matérielle, en
particulier aux problèmes du consentement et de la coercition, à la puissance
et à la force matérielle dans le changement social comme éléments
potentiellement contradictoires avec une stratégie de transformation de la
conscience et de non-violence révolutionnaire visant l’établissement d’un ordre
social consensuel, véritablement démocratique et civilisé.
Philosophie de la
praxis
L’œuvre de Gramsci est une tentative exceptionnellement
anticipatoire du développement d’un marxisme politique-stratégique, exempt de
la confiance fataliste dans les « lois historiques immuables »,
indépendantes de l’initiative humaine. Gramsci a placé l’activité humaine au centre du processus
révolutionnaire. Il voulait ainsi reconstituer et réintégrer les
éléments de la totalité et la dimension subjective créatrice de la politique
socialiste, longtemps négligés et particulièrement dégradés dans le marxisme
officiel et dogmatique de la IIe Internationale. A son avis, le quiétisme
politique, la dépolitisation et la passivité de la IIe Internationale étaient
en partie la conséquence de sa compréhension positiviste,
« objectiviste » et matérialiste vulgaire des changements de systèmes
sociaux. A son avis l’épistémologie matérialiste simpliste de la IIe
Internationale n’était qu’une forme de l’idéalisme à l’envers. Les deux se
caractérisent par la même métaphysique vide et peu profonde — le réductionnisme
des polarités sujet-objet, idéalisme-matérialisme, volontarisme-déterminisme,
structure-conscience etc. Le matérialisme vulgaire et mécaniste et l’idéalisme
sont désespérément non-dialectiques dans leur déterminisme peu sophistiqué. Ils
s’opposent à la construction d’une stratégie révolutionnaire viable alors que
la vie manifeste « une interaction complexe des forces subjectives et
objectives » (1).
Comme un des fondateurs de la philosophie de la praxis
marxiste moderne, il fut un des premiers à prendre en compte les dynamiques
entre « base » et « superstructure » (sans nier le
déterminisme ultime de l’économie, qui n’est pourtant pas nécessairement
toujours dominant). En suivant les géants intellectuels comme Benedetto Croce
et (peut-être encore plus) Antonio Labriola, Gramsci voulait atteindre l’unité
dialectique réciproque entre théorie et pratique, entre pensée et action, entre
sujet et objet. Il voulait construire une théorie « ouverte », non
orthodoxe, pertinente pour les masses, capable de stimuler et de réveiller leur
potentiel créatif. Des formules fixes, irréfléchies sont inutiles. Les contradictions
du capitalisme ne vont pas simplement « exploser », elles doivent au
contraire être saisies par un effort conscient.
Démocratie ouvrière
directe
C’est pendant les grèves de masse et les occupations
d’usines en Italie, au cours du « Biennio rosso » (les deux
« années rouges » de 1919-1920), que la nouvelle philosophie de la
praxis de Gramsci s’est développée très vite, en particulier dans les pages du
journal légendaire L’Ordine Nuovo (co-fondé par lui en mai 1919), lorsqu’il commence
à articuler le thème des conseils d’usine (consigli di fabbrica) et des soviets
comme étant les formes organisationnelles centrales d’une démocratie socialiste
émanant de la base. Ce « journal des conseils des usines » devait
servir comme catalyseur pour ce développement qui articulait les impulsions
démocratiques naissantes, contribuant à la transformation de la conscience de
masse et à la formation possible d’une « République des Conseils »
fondée sur la démocratie directe. « L’existence des conseils donne aux
travailleurs la responsabilité directe de la production, les amène à améliorer
leur travail, met en place une discipline consciente et volontaire, et crée la
psychologie du producteur, créateur de l’histoire (2). (…) Toute la masse
participe à la vie du conseil et prend conscience de son importance à travers
cette activité. » (3)
Contrairement au caractère vivifiant des conseils, ces
organes historiques de l’auto-émancipation de la classe ouvrière qui lui
donnent le pouvoir et la dignité, la conscience et la structure bureaucratique
du syndicalisme, souvent sectoriel, étroit et réformiste, sont un facteur de
dépolitisation. L’attitude corporatiste basée uniquement sur les intérêts
immédiats ou à court terme est contraire au développement de l’unité et de la
solidarité de la classe ouvrière et encore plus à la construction d’alliances
multiclassistes ou de fronts uniques.
Les syndicats par eux-mêmes, ne sont pas les instruments
adéquats pour la tâche d’une transformation sociale radicale. Gramsci ne
prônait pourtant pas le retrait du mouvement ouvrier ou des syndicats (qui
peuvent toujours réaliser certaines fonctions d’unification et de défense), car
la possibilité d’une offensive sociale allant au-delà du syndicalisme est
conjoncturelle et dépend d’une variété de facteurs qui ne sont pas tous
déterminés par la volonté subjective. Sa perspective à long terme était
cependant fondée sur le développement de l’auto-organisation de la classe
ouvrière, le but étant clairement de « créer ici et maintenant une authentique
démocratie ouvrière – une démocratie ouvrière en opposition réelle et active à
l’État bourgeois » (4).
Ordine Nuovo et les écrits de Gramsci furent les
élaborations théoriques les plus importantes du communisme des conseils
italien.
Parti révolutionnaire ou «prince moderne»
A l’issue de la défaite des conseils ouvriers (qui n’avaient
pas réussi à rompre avec la sphère corporative-économique, laissant intacte
l’autorité politique et militaire de la bourgeoisie) et de la trahison du Parti
Socialiste Italien (PSI), partiellement ossifié et opportuniste, la majorité du
groupe Ordine Nuovo entra dans le Parti Communiste Italien (PCI) récemment
fondé lors du Congrès de Livourne de 1921. Pour Gramsci, une des tâches
révolutionnaires cruciales consistait alors dans le développement d’un élément
subjectif cohérent capable de diffuser une perspective socialiste alternative,
d’intervenir dans les mouvements sociaux larges (la « société
civile ») pour généraliser les luttes et aider à la fondation d’une nouvelle
administration (la nouvelle « société politique ») et d’un système
social nouveau. Il fallait construire le PCI comme une organisation massive de
combat, fortement structurée et très flexible, un « parti
d’avant-garde » compact et « implanté dans les masses » (5).
Galvanisant les luttes, porteur d’une conscience critique et active, ce parti
devait enflammer les masses. Son rôle devait être formateur et coordinateur,
celui d’un pédagogue de la praxis. Le PCI devait devenir l’agent du changement
organisé.
Il serait tout à fait erroné de considérer les conseils
démocratiques que prônait Gramsci (en premier lieu ceux de la période du
« Biennio rosso ») comme relevant d’un spontanéisme
anti-organisationnel, typique chez ceux qui s’opposent à l’intervention des
organisations politiques socialistes dans le processus révolutionnaire. Concevoir la stratégie gramscienne
comme une forme grossière de substitutionnisme (ou de despotisme minoritaire)
serait faire fausse route également. Ce qu’il voulait c’était « un parti
des masses qui, par leurs propres efforts, luttent pour leur libération de la
servitude politique et industrielle, de façon autonome à travers l’organisation
de l’économie politique et non d’un parti utilisant les masses au service de
ses propres efforts héroïques visant à imiter les Jacobins français » (6).
Le rôle
« d’avant-garde » du parti est lié à son rôle de direction
idéologique et organisationnelle et non à celui d’une formation
« inorganique » parasitaire, imposée au mouvement. Gramsci posait le
problème de la notion du « sens commun » comme une forme primitive,
ambiguë et contradictoire de la conscience majoritaire, facile à manipuler dans
l’intérêt des élites. Sa position, en particulier dans ses premiers écrits,
ceux d’avant qu’il n’ait rejoint le Komintern (IIIe Internationale), se situait
quelque part entre un spontanéisme naïf, qui élude le rôle d’entités politiques
organisées, et un centralisme Jacobin, qui réduit tout le problème à
l’insertion d’un « élément extérieur ». « Cet élément de
“spontanéité” n’était ni négligé ni même méprisé. Il était formé, dirigé, purgé
des contaminations externes ; le but était de l’aligner avec la théorie moderne
(le marxisme) — mais d’une manière vivante et historiquement efficace. (…)
Cette unité entre la “spontanéité” et la “direction consciente” ou la
“discipline” c’est précisément l’action politique des classes subalternes, dans
la mesure où il s’agit d’une politique des masses et non d’une aventure de
groupes qui prétendent représenter les masses. » (7)
En suivant ses écrits, on peut absolument affirmer que la
vision de Gramsci n’était nullement celle d’un parti d’avant-garde oligarchique
et hautement centralisé (bien qu’il fut certainement en faveur d’un haut degré
de « centralisme démocratique ») mais bien d’un parti socialiste de
masse avec une base large, qui consolidait les éléments les plus combatifs et
critiques de la société (en particulier provenant de la classe ouvrière),
«enraciné dans la réalité sociale de tous les jours et lié à un large
réseau de structures populaires (par ex. les conseils d’usine et les
soviets) ». (8) Il s’agit d’une conception d’unité dialectique de la
politique et de l’économie, une thèse de travail compatible avec une stratégie
politique démocratique, bien que Gramsci n’ait pas suffisamment développé ni
clarifié la relation entre la lutte macro-structurelle et la transformation des
relations humaines au niveau micro — destruction des structures autoritaires
antidémocratiques, de la hiérarchie et de la division du travail rigide, tant à
l’intérieur du parti révolutionnaire que dans les processus sociaux et au
travail. Toute la rationalité
bureaucratique et technocratique dominante, qui réduit les êtres humains au
rang d’automates obéissants, doit faire face à une opposition active et non
être silencieusement acceptée. Il faut noter ici l’appel beaucoup moins ambigu
de Rosa Luxemburg pour les droits démocratiques les plus larges. Mais Gramsci
avait certainement raison quand il réclamait l’adoption de mesures visant à
réduire la possibilité d’une obstruction interne au parti — la liberté de débat
ne devait pas être faussement interprétée comme la justification de la
paralysie politique de l’organisation. Il plaidait pour maintenir à tout moment
un haut degré de continuité, une unité disciplinée dans l’action, une
préparation et une efficacité dans le combat.
Le « léninisme » de Gramsci (en particulier dans
sa phase précoce de la période du « Biennio rosso », alors que les
Thèses d’Avril et L’État et la Révolution de Lénine et le mot d’ordre
« tout le pouvoir aux Soviets ! » jouaient un rôle central)
semble être déterminé dans une large mesure par sa connaissance limitée de la
réalité soviétique, identifiée par lui au gouvernement par les travailleurs et
les citoyens (par exemple dans son article Démocratie Ouvrière). A l’origine,
Gramsci considérait le léninisme presque exclusivement comme une nouvelle
idéologie du pouvoir des travailleurs qui dépassait le réformisme étriqué ou
l’économisme par sa compréhension dialectique de l’interaction entre
l’économique et le politique — une idéologie qui permettait d’aider à la
construction de la classe ouvrière comme une classe pour soi, d’aider la classe
ouvrière à acquérir la conscience d’une classe dirigeante de la société
(« la classe élémentaire »), un sujet historique qui auto-gouverne et
qui s’actualise. L’usage du terme de « dictature du prolétariat »
dans ce contexte, correspond au concept du règne des producteurs ou de la
démocratie ouvrière, comme cela apparaît évident dans plusieurs de ses écrits
(9). La conception gramscienne de « l’État » socialiste est
radicalement différente de la machine d’État exploiteuse, qu’elle soit
capitaliste ou bureaucratico-collectiviste, considérée par lui comme
inutilisable pour le nouvel ordre social. Pourtant, il est facile de critiquer
Gramsci pour son suivisme partiel par rapport au jeune État soviétique et au
parti bolchevique et plus particulièrement son manque de position critique
envers la théorie et la pratique du de l’Internationale communiste.
Pour Gramsci, le parti révolutionnaire en tant
qu’organisation des éléments les plus avancés, les plus conscients et
cohérents, les membres-organisateurs formés et préparés, ne doit pas être
confondu avec le mouvement large au sein duquel il doit intervenir. Ceci ne
l’empêche pas de devenir lui-même une organisation de masse.
Du point de vu organisationnel, le parti doit fonctionner de
manière « organique » (ressemblant à un organisme biologique) et non
bureaucratique, sur la base du centralisme démocratique et de l’interaction
réciproque des différents niveaux décisionnels, à travers « une insertion
continue des éléments venus de la base dans le cadre solide de l’appareil de
direction qui réalise la continuité et l’accumulation régulière de l’expérience »
(10). L’État organique a été considérée comme un mécanisme défensif, nécessaire
pour la préservation de la démocratie interne du parti et de sa pratique
publique démocratique : « …les organes centraux et locaux doivent toujours
considérer leurs pouvoirs respectifs non comme étant imposés d’en haut, mais
comme l’émanation de la volonté du parti » (11).
En plus, les organes du pouvoir populaire direct, tels les
comités de grève ou les comités de base (comitati de base), les commissions
internes, les assemblées municipales de démocratie directe, les réseaux de
délégués syndicaux, etc. jouent un rôle crucial dans le mouvement
anticapitaliste. Ils mettent en pratique le potentiel d’auto-organisation et
sont des éléments supplémentaires de protection et des garde-fous contre une
possible domination hiérarchique des organisations politiques (y compris des
révolutionnaires bien intentionnés) sur les masses travailleuses. Pourtant ces
organisations ne sont pas en soi suffisantes (12).
Gramsci a clairement posé la question de la préfiguration de
la démocratie directe. Pourtant il semble avoir quand même été moins préparé
que Rosa Luxemburg pour produire par exemple un programme plus précis en ce qui
concerne « l’auto-abolition » du parti révolutionnaire en tant qu’organe
de décision progressivement remplacé par un système libre d’autogestion.
Gramsci a cependant tenté de lier d’une façon dialectique l’organisation et la
spontanéité (en transcendant les deux extrêmes), lorsqu’il a noté dans sa
jeunesse que « le processus révolutionnaire peut uniquement être identifié
avec un mouvement spontané des masses travailleuses (…) le parti socialiste est
sans aucun doute “l’agent” le plus important dans ce processus de destruction
et de reconstruction, mais il n’est pas et ne peut pas être conçu comme la
forme de ce processus, une forme malléable dans les mains de ses
dirigeants » (13).
Pourtant, Gramsci n’a jamais réussi à « résoudre »
la tension fondamentale entre le besoin de préserver la démocratie du parti et
la nécessité de construire une organisation de combat solide « implantée
en profondeur dans toutes les branches de l’appareil d’État bourgeois, capable
de le blesser et de lui infliger de graves défaites dans les moments décisifs
de la lutte. » (14).
«Intellectuel collectif» et mode organique
Partant du concept de Georges Sorel du « mythe »
de la Grève Générale, Gramsci reconnaît l’importance de normes communes, des
concepts et symboles que le parti doit pouvoir fournir en tant
« qu’intellectuel collectif » ou « prince du mythe »
sensible à la tâche de créer un appel émotionnel dans lequel fusionne le
cognitif et l’émotionnel. Le parti doit en premier lieu être le héraut d’une
vision du monde éthique et philosophique ouverte et nouvelle et non le
dépositaire d’un système fermé de dogmes « scientifiques » immuables.
Dans la théorie révolutionnaire de Gramsci, le Parti, organe
le plus conscient de la praxis révolutionnaire (de l’initiative politique,
économique et culturelle résolue), est aussi obligé de former ses propres intellectuels
« organiques » critiques, les tribuns démocratiques combatifs du
peuple, impliqués dans la vie des masses et dévoués aux idéaux de liberté,
d’égalité et de solidarité humaines. Ces intellectuels critiques, en cherchant
à créer une unité organique, égalitaire avec les classes inférieures et avec
tous les opprimés, doivent servir la cause révolutionnaire comme les porteurs
avancés de l’espoir et du progrès, démystifiant l’idéologie dominante,
organisant une contre-hégémonie. Ils doivent donner le pouvoir aux masses en
les guidant et en guidant le genre humain rendu infirme par l’ordre
capitaliste, « vers une conception plus élevée de la vie » (15).
Gramsci lui-même était le prototype de l’intellectuel
organique et du défenseur passionné des droits des opprimés. Peut-être que le
fait d’être bossu, et le sentiment de douleur émotionnelle et de rejet, l’ont
aidé à développer une sympathie profonde avec les humbles, les exclus et les
opprimés, une sympathie qui lui a permis de tenir lors des terribles périodes
de déception au cours de plus de onze ans d’emprisonnement fasciste brutal, qui
le mènera à une mort prématurée.
Un véritable parti révolutionnaire doit établir un lien
organique réel avec la conscience populaire en se plaçant à la tête du mouvement
anticapitaliste sans essayer de le dominer de façon antidémocratique. Le
réformisme de la IIe Internationale n’était pas simplement un symptôme de la
« trahison de la direction » ou du manque de crises économiques
suffisantes, c’était aussi l’échec d’une lutte de classe
« spontanée », sans direction — et du dogmatisme d’un parti sans vie
et sclérosé — incapable d’effectuer un changement important dans les condition
de vie des travailleurs et incapable de produire une vraie conscience socialiste
contre-hégémonique internalisée.
La tragédie de la gauche au XXe siècle est peut-être
largement due à son « incapacité à créer une “psychologie de masse” qui
lui permettrait de “parler la langue des masses” avec de l’imagination
émotionnellement attractive. Son
marxisme avait tendance à être trop schématique et trop abstrait » (16).
En ignorant en grande partie la psychologie humaine et en négligeant les
facteurs stratégiques et idéologiques qui influencent le changement, beaucoup
de marxistes ont prouvé à maintes reprises qu’ils avaient peu de liens avec la
réalité et avec la conscience populaire. Dans une veine ressemblant à celle de
Gramsci, Wilhelm Reich remarquait de façon brillante : « Nous présentions
aux masses une analyse historique superbe et des traités d’économie sur les
contradictions de l’impérialisme tandis que Hitler remuait les racines les plus
profondes de l’être émotionnel. Comme l’aurait dit Marx, on a laissé la praxis
du facteur subjectif aux idéalistes ; nous avons agi comme des matérialistes mécanistes
et économistes. » (17) Les marxistes n’ont pas pu répondre aux
préoccupations, besoins, peurs et désirs des masses et c’est la raison pour
laquelle ils sont restés isolés. « Une ligne politique et économique
globale, si elle veut créer et préserver un socialisme international, doit
trouver des points de contact avec la vie de tous les jours, triviale, banale,
primitive, avec les désirs des masses les plus larges… » (18) Gramsci se
situe dans la tradition sous-évaluée des révolutionnaires qui voulaient
pénétrer dans le cœur de cette conscience populaire, et le mouvement socialiste
italien a réussi souvent à profiter de l’itinéraire théorique et pratique qu’il
a élaboré.(19)
La
démocratisation du concept d’intellectuel par Gramsci, injecte une vitalité
particulière dans sa théorie et sa pratique, c’est une vision intégrale qui va
au-delà des limites des classifications officielles : « En définitive,
chaque homme, en dehors de son activité professionnelle, porte une forme
d’activité intellectuelle, c’est-à-dire qu’il est “philosophe”, artiste, homme
de goût, qu’il participe à une vision du monde, qu’il possède une morale de
comportement conscient et qu’il contribue en conséquence à soutenir ou à
modifier une conception du monde, c’est-à-dire à engendrer de nouvelles façons
de penser » (20). Les nouveaux intellectuels ne portent donc pas seulement
une fonction mentale et sociale hautement spécialisée et élitiste — ils sont
« une part organique de la communauté ; ils doivent articuler les valeurs
nouvelles à l’intérieur du langage commun et des symboles d’une culture plus
large » (21). En effet : « La façon d’être des nouveaux intellectuels
ne peut plus consister en une éloquence qui met en mouvement les sentiments et
les passions de façon extérieure et momentanée, mais ils doivent participer
activement dans la vie pratique en tant que constructeurs, organisateurs,
motivateurs permanents, et pas simplement comme orateurs » (22). Les
nouveaux intellectuels en tant que tels, comme force internalisée et non imposée,
doivent entraîner les masses dans leur philosophie libératrice, en évitant un
mode de communication élitiste, obscur et aliénant qui favorise une passivité
anti-intellectuelle dans le peuple. La nouvelle conscience libératoire
doit être liée de manière organique, intégrée dans le tissu social et culturel
de la classe ouvrière. Elle doit être exprimée dans les termes du moment
historique, les mots à la portée de tous.
Gramsci ne sous-estimait pas l’importance de la
« conquête »-assimilation d’intellectuels traditionnels (en
indiquant, entre autres, la possibilité d’une autonomie professionnelle, d’une
sécurité et d’un respect plus importants). Il n’en mettait pas moins l’accent
sur la nécessité d’une nouvelle couche d’intellectuels de la classe ouvrière,
capable d’élaborer une relation véritablement organique et démocratique avec
les masses travailleuses, absolument indispensable (à long terme) pour le
développement d’une nouvelle conscience populaire intégrée et enracinée dans la
réalité des masses. Les intellectuels
traditionnels eux-mêmes peuvent parfois être « re-socialisés » en
développant une relation démocratique avec les masses.
Par
ailleurs, la liberté des fractions (bien que — et c’est sujet à controverse —
Gramsci était opposé à la formation de fractions permanentes), celle d’un débat
ouvert, sont une nécessité pour la démocratisation de l’activité intellectuelle
et pour la politique en général. Personne ne doit devenir irremplaçable. Le
parti révolutionnaire, en tant qu’« intellectuel collectif » (avec un
degré d’homogénéité et de volonté collective) ne doit pas perdre le contact
avec les masses ni devenir bureaucratique, il doit devenir une école de
démocratie et de pensée libre, formant ses cadres (en fait, chaque membre du
parti devrait devenir un intellectuel organique) et aussi de larges segments de
la classe ouvrière et des mouvements ouvriers et sociaux. La théorie elle-même
doit être démocratisée ; la mentalité « professionnelle » et
corporatiste des intellectuels doit être contestée et Gramsci est parmi les
penseurs égalitaires et les très rares organisateurs politiques qui ont essayé
(même si pas toujours de façon cohérente) à détruire la division historique du
travail entre les intellectuels et les masses (ou les « militants de base »)
à l’intérieur du mouvement révolutionnaire et dans la société en tant que
telle.
«Bloc révolutionnaire historique»
Contrairement
à certaines affirmations, Gramsci avait des réserves concernant le caractère
universel de l’exemple russe, surtout parce que son but était toujours
l’explication et le développement d’un marxisme italien, spécifique, organique,
enraciné dans les conditions italiennes : dans la culture, les coutumes, le
contexte socio-économique, les besoins et les aspirations du peuple italien. En
effet, la lutte pour une nouvelle hégémonie ne peut pas seulement se limiter
aux problèmes de classe mais elle doit s’engager dans la totalité de la vie
sociale, être « la force motrice d’une expansion universelle, d’un
développement de toutes les énergies nationales » (23). Comme
Lénine l’a noté de manière réaliste : « Celui qui s’attend à une
révolution “pure”, ne la verra jamais » (24). Le parti révolutionnaire
doit se mettre à la direction de beaucoup de mouvements sociaux non-classistes
et de courants sociaux, ce qui ne pourra pas se réaliser de manière
démocratique si on empêche par la force (ou sournoisement) l’autonomie réelle
des autres organisations ou tendances.
La solidarité internationale, la coopération et la
coordination ne doivent pas être faussées par l’imposition d’un modèle
« révolutionnaire » insensible aux spécificités nationales. Il est
important de mentionner ici que son concept du
« national-populaire », du caractère national du mouvement pour le
changement, bien que cela puisse inclure un sentiment patriotique, n’a rien à
voir avec du nationalisme étroit — il est l’expression de son instinct
politique fortement incrusté dans la réalité sociale (« l’analyse concrète
des conditions concrètes »). Son attitude dialectique ne permet jamais
l’abandon d’une position qui est en même temps active et énergiquement
internationaliste (25).
Gramsci était inflexible sur le fait qu’une politique
vraiment révolutionnaire devait se baser sur le front unique et le pluralisme
socialiste comme le produit « d’un consensus national autour d’initiatives
et d’actions par le pouvoir de la classe ouvrière » (26). Il ne s’agit pas
d’un concept de collaboration de classe (comme celui qui a été mis en pratique
par le courant dominant dans Rifondazione Communista), d’une alliance
électorale à court terme ou de coalitions au sommet (« fronts
populaires » etc.) qui se substituent au mouvement large mais d’un bloc
historique durable, un système d’alliances cimentées par une vision commune et
capable de réagir contre la complexité croissante de la société civile et
contre les tendances centrifuges dans la classe ouvrière (et aussi dans les
« classes moyennes »), les différenciations et diversifications dans
le capitalisme développé. Il est impossible de contester sérieusement la classe
dirigeante, sans contester les tendances vers la fragmentation des secteurs
opprimés et progressistes de la société, sans une certaine cohésion idéologique
et organisationnelle, sans la mobilisation et le soutien des masses. Mais la
ligne générale de cette approche est basée sur « l’unité dans la
multiplicité » (Virginia Woolf) — une pluralité d’identités possibles —
plutôt que sur une espèce d’uniformité forcée.
Le rôle dirigeant doit néanmoins appartenir à la classe
ouvrière, qui n’a pas comme option viable l’exploitation ou le parasitisme
d’autres groupes de la société. Ceci implique aussi la nécessité d’un degré de
compromis et de concessions (restant principielles) de la classe ouvrière
envers ses alliés si l’on veut prendre au sérieux la stratégie de front unique.
« On peut employer la force contre des ennemis, mais pas contre une partie
de son propre camp qu’on veut assimiler rapidement, sa “bonne volonté” et son
enthousiasme nous sont nécessaires » (27). Ce processus n’est évidemment pas
sans contradictions. La question n’est pas de les éviter complètement, mais
comment minimiser en même temps les éléments d’opportunisme et d’antagonisme
qui feraient perdre tout pouvoir.
La stratégie du front unique (fusionnant des couches
sociales auparavant souvent antagonistes) est une nécessité aussi bien pour la
conquête du pouvoir que pour la fondation d’un ordre nouveau basé sur une
volonté collective. Dans « Que faire ? » Lénine appelait aussi
les révolutionnaires à « aller parmi toutes les classes de la
population » pour organiser à partir de ces éléments, des
« détachements auxiliaires » pour la classe ouvrière (28). On ne peut
pas simplement déterminer la dissidence sur une base de classe ou de statut
social. Malheureusement, le mouvement ouvrier contemporain continue de
présenter les intérêts des travailleurs d’une façon corporatiste et économiste
étroite, comme si la classe ouvrière n’était qu’un « groupe avec des
intérêts spécifiques » parmi d’autres. Ce n’est pas sur une telle base que
pourra se construire une offensive politique et une hégémonie durable.
A travers l’organisation d’un contre-pouvoir, le parti
révolutionnaire et le front unique essaient également d’exercer une influence
disciplinaire sur des éléments non-alliés (ce qui inclut souvent les classes
« intermédiaires »), pour les contenir et pour neutraliser leur
influence réactionnaire possible (bien que cette subordination passive soit, à
long terme, en général moins solide qu’un consensus actif), s’il n’est pas
possible de garantir leur participation sous la direction révolutionnaire des
travailleurs. « Le groupe dominant est coordonné de manière concrète avec
les intérêts généraux des groupes subalternes, et la vie de l’État est conçue
comme un processus continu de formation et de dépassement d’équilibres
instables (au plan juridique) entre les intérêts du groupe fondamental et ceux
des groupes subalternes — équilibres dans lesquels les intérêts du groupe
dominant l’emporteront, mais cela seulement jusqu’à un certain point, c’est-à-dire
en évitant des intérêts économiques corporatistes étroits » (29).
Le parti
doit s’opposer constamment à tout sectarisme et maintenir à tout moment son
enracinement dans le mouvement de masse. Pendant toute sa vie avant la
prison, Gramsci a dû se battre avec les maximalistes,
« ultra-gauches » et en même temps autoritaires de la fraction
dirigée par Amadeo Bordiga, caractérisée par la stérilité politique et par une
tendance accentuée vers la marginalisation à travers une intransigeance idéologique
sectaire. Bordiga était peu disposé à traiter des impératifs inévitables du
consensus. Tandis que les fascistes consolidaient leur dictature, le purisme
irresponsable et auto-marginalisant d’organisations et de fractions déterminées
à préserver leur « virginité » politique, détruisait les possibilités
d’un front unique efficace, d’une large alliance des forces sociales autour de
la classe ouvrière, contre le terrible ennemi. Il était déjà trop tard lorsque
le comité central du PCI adoptait enfin au congrès de Lyon en 1926, la position
pragmatique de Gramsci. Cette année même, Bordiga et Gramsci furent arrêtés et
déportés sur l’île d’Ustica.
C’est en grande partie à cause de la différentiation
continue de la classe ouvrière et aussi de la diversification des nouveaux
mouvement sociaux (l’écologie, les questions sexuelles et de genre, les
mouvements communautaires, etc.) que la stratégie de front unique reste
toujours d’actualité — ainsi que (ajouterai-je) la nécessité d’un parti
universel mais non-monolithique révolutionnaire — dans les pays les plus
développés en particulier.
Hégémonie idéologique
Le développement d’une contre-hégémonie est lié avec le
projet de construction d’un front unique durable à long terme. Dans la pratique
capitaliste moderne d’exercice de la domination de classe, un des
développements les plus significatifs consiste dans le changement de la
relation entre l’État et la société civile, le rôle accru et grandissant de
l’hégémonie idéologique, le contrôle et la manipulation idéologique subtile
mais envahissante, le consensus « populaire » réalisé non par la
simple contrainte ou la menace de contrainte physique (bien que cet élément
continue à jouer un rôle) mais à travers la culture de masse,
« l’industrie de la conscience » (Hans Magnus Enzensberger) raffinée,
comprenant l’éducation, les médias, les divertissements, les pratiques et les
croyances sociales populaires, la loi, etc. On ne peut pas combattre cette
hégémonie sur le seul niveau institutionnel ; une
« contre-hégémonie » socialiste (Gramsci aurait parlé d’une nouvelle
« culture intégrée ») doit se construire sur le long terme si la
lutte veut être durable. Le capitalisme est « un ensemble de
relations », on ne peut pas s’y opposer de manière partielle ou
particulariste. En effet « la société civile est devenue une structure
très complexe et qui résiste aux “incursions” catastrophiques de l’élément économique
immédiat (crises, dépressions, etc.) » (30).
Parce qu’il a anticipé sur ces thèmes, qui deviendront
centraux dans la théorie critique de l’École de Francfort, Gramsci fut qualifié
« le théoricien révolutionnaire peut-être le plus précoce du capitalisme
avancé » (31). Il a été décrit comme un fin observateur de la vie moderne
et comme un stratège politique d’une grande souplesse. Il a aussi été vu comme
le précurseur des « nouveaux mouvements sociaux » et l’avant-coureur
de l’émancipation humaine totale, qui allait devenir un élément notoire dans
les années 1960. Ceux qui (comme Carl Boggs) font ce lien, argumenteront
probablement qu’il est nécessaire de rejeter la « ligne de la moindre
résistance » et d’opposer à la logique socioculturelle du capitalisme
contemporain — une logique qui bloque le développement d’une conscience
anticapitaliste plus profonde et plus conséquente — la politique
anticapitaliste de la vie quotidienne.
Une nouvelle Renaissance, un renouveau intellectuel et moral
— une explosion d’énergie contre-culturelle créative — est un ingrédient
indispensable pour un changement social radical. L’accent mis par Gramsci sur
l’importance de « la guerre de position » et sur la construction
d’une nouvelle culture, montre son engagement sur la notion d’une révolution
« totale » (politique, sociale, culturelle). Il s’agit d’une
transformation qui n’affectera pas seulement les institutions politiques
formelles, mais aussi le style de la vie de tous les jours et les conceptions
de la vie (civiltà). Il
désirait ardemment la « libération de l’esprit, l’établissement d’une
nouvelle conscience morale » (32). Le but à long terme ne pourrait être
que l’épanouissement d’une nouvelle culture humaine. Négliger ou mettre de côté
cet élément crucial du processus révolutionnaire, enraciné dans la subjectivité
créative, serait une trahison de la révolution sociale anticapitaliste
elle-même. Si cette affirmation est correcte, il est toujours possible de
choisir avec sagesse ses batailles. Le parti révolutionnaire est en général une
entité totalisante-universalisante mais des regroupements spécifiques de fronts
ou des associations qui ne sont pas directement liées au parti, peuvent être
mis en place ou soutenus indirectement dans des cas où il s’agit de questions
plus controversées. Pour autant, beaucoup des vieilles inconsistances typiques
des organisations radicales (comme par exemple le refus ou l’incapacité de
contester les normes sexuelles dominantes) devront être dépassées (d’une façon
tactique intelligente) par les organisations révolutionnaires du futur. « Chaque
révolution a été précédée par un travail intense de critique sociale, de
pénétration et de diffusion culturelle » (33).
Bien qu’une nouvelle hégémonie culturelle intégrale soit
probablement impossible avant de parvenir au pouvoir matériel, parce qu’elle
avance selon une spirale tortueuse hautement dépendante de l’existence
matérielle concrète des masses (car la logique socioculturelle capitaliste est
très profondément enracinée), la réalisation d’une hégémonie politique plus
directe mais limitée (incluant plus particulièrement les quelques concepts-clés
qui sont cruciaux pour le maintien du « sens commun » dominant) ne
peut pas être différée, parce que c’est un des facteurs décisifs pour évaluer
la possibilité même d’une prise de pouvoir politique immédiate. Il serait
probablement imprudent de s’attendre à — ou d’essayer de réaliser un —
changement idéologique complet avant la montée d’une réalité matérielle
nouvelle (Gramsci était certainement de cet avis). Il est peut-être plus
souvent nécessaire de trouver le moyen de neutraliser ou de subvertir les
effets réactionnaires de la morale dominante, des normes culturelles ou
sociales au lieu de s’y opposer directement avant la naissance d’un nouveau
système politique et économique (la théologie de la libération en est un bon
exemple). Cette proposition
élargit les options disponibles pour une approche non frontale qui mène plus
souvent vers un lien réussi avec les masses dans leur situation actuelle
réelle. Discuter de la stratégie d’un changement idéologique à travers le
prisme de la société actuelle en mouvement, est souvent plus constructif que
d’opposer au monde contemporain une structure statique idéaliste. Comme
Gramsci, nous devons apprécier les éléments appropriés de la continuité et
construire sur leur base, de même que nous radicalisons et capitalisons les
éléments appropriés de discontinuité du présent avec le passé. Si on les
utilise de façon dialectique, les deux perspectives peuvent être utiles. Elles
laisseront un ample espace pour l’élargissement des horizons populaires et
offriront des alternatives viables par rapport aux modes de vie dominants
(aussi en assimilant les réussites du passé dans la structure du futur ) ; il
ne s’agit donc pas d’un opportunisme sans principes mais d’un appel pour une
approche réfléchie et sensible envers les croyances et les coutumes dominantes.
Je pense qu’une application gramscienne de « la guerre de position
idéologique » pourrait se mener selon les lignes que je viens d’indiquer.
En continuant d’exister dans des moments de crise et
d’offensives sociales, l’hégémonie idéologique capitaliste continuera à exercer
une grande partie de son influence passée, en poussant même « les opprimés
à accepter ou à “consentir” à leur propre exploitation et leur misère
quotidienne » (34). Pourtant, une transformation révolutionnaire est
impossible sans une érosion et une crise idéologique de l’ordre ancien
accompagnée de la construction d’une nouvelle culture basée sur des changements
matériels réels. « Chaque nouvelle pièce de Voltaire, chaque nouveau
pamphlet était comme une étincelle passant dans un réseau de lignes qui
s’étendaient de nation à nation, de région à région. (…) Le chemin était déjà
préparé pour les baïonnettes de Napoléon par une armée invisible de livres et
de pamphlets et une armée qui s’était disséminée en partant de Paris (…) et qui
avait préparé les hommes et les institutions pour la rénovation
nécessaire » (35).
Ce serait une fantaisie aux proportions catastrophiques que
d’essayer de créer une nouvelle société sans construire au préalable
partiellement une nouvelle légitimité de masse. Le changement structurel et le changement
idéologique sont intrinsèquement liés. La capacité de la gauche
révolutionnaire à remplacer la vieille idéologie bourgeoise, fondée sur le
mensonge, l’exploitation et l’obéissance, dépendra en grande partie de son
inventivité historique, de sa cohésion et de sa préparation organisationnelle
et culturelle.
Dialectique du
consentement et de la coercition
De nombreux écrits des Carnets de Prison de Gramsci
concernent l’idée de la construction graduelle de l’hégémonie de la classe
ouvrière, en mettant l’accent sur la sous-évaluation supposée de la
« guerre de position » (ou « guerre de tranchée »).
« En Russie, l’État était tout, la société civile était primaire et
gélatineuse ; en Occident, il y avait une relation bien définie entre État et
société civile, et quand l’État tremblait, la robustesse de la société civile
devenait tout de suite apparente. L’État ne formait qu’une digue extérieure,
derrière laquelle se trouvait un solide système de fortifications et de
tranchées » (36).
Il ne faut pourtant pas mystifier cette notion d’une longue
accumulation de soutien et d’une « révolution par étapes » ou de
« guerre de position » (il s’agit probablement d’une réaction
ouvertement schématique contre la « théorie de l’offensive
révolutionnaire » aventuriste et contre une série « d’actions
partielles » et d’attaques armées contre l’establishment) . Le
développement à la base de réseaux de double pouvoir à l’intérieur de la
société civile constitue un aspect décisif de la « guerre de
position », qui doit précéder la conquête directe du pouvoir dans la
société politique. Les aspects « organiques » aussi bien que
« conjoncturels » de la vie politique trouvent leur place dans une
totalité dialectique. La guerre de position et la guerre de mouvement possèdent
une certaine complémentarité. Il ne faut pas réduire la force vitale,
capricieuse et turbulente de l’histoire à une accumulation prévisible et
parfaitement linéaire de forces jusqu’à l’obtention de l’hégémonie. Beaucoup
d’insurrections, y compris en partie la révolution espagnole et la révolution
portugaise de 1974-75, montrent l’erreur d’un manque de résolution pour élargir
et prendre le pouvoir à des moments critiques du conflit, laissant ainsi
suffisamment de temps et d’énergie aux contre-révolutionnaires pour consolider
leurs forces et organiser une contre-offensive. Dans un tel scénario, il y a un
fort danger de réticences et de démoralisation, surtout si cela est couplé avec
le rejet de la stratégie de « révolution permanente ».
L’hypothèse apparemment logique de Lénine était que le
moment décisif, où l’accumulation des forces doit faire place à l’assaut direct
du pouvoir d’État, c’est le moment où l’activité organisationnelle de
l’avant-garde populaire est à son niveau le plus élevé, tandis que la classe
dominante est la plus divisée et que ses soutiens sont les plus faibles et les
plus indécis (37). En plus, une tactique de « blitzkrieg » pourrait
s’avérer la plus efficace quand les forces accumulées de la révolution se sont
pleinement engagées dans l’action (38).
Pour des raisons internes et externes, sur lesquelles nous
ne reviendrons pas ici, la foi de Gramsci dans la puissance positive de
l’expérience russe s’est avérée partiellement erronée. Pourtant, il serait
difficile de nier le besoin général de la construction d’institutions
révolutionnaires fortes et de structures organisées capables de préserver la
stabilité et la continuité même en période de stagnation socialiste et de
retrait. Dans ce sens, Gramsci a raison quand il souligne que « la
dictature du prolétariat doit résoudre les mêmes problèmes que l’État bourgeois
: l’État interne et externe. (…) Le prolétariat est peu entraîné pour gouverner
et diriger ; la bourgeoisie résistera jusqu’au bout à l’État socialiste, de
façon ouverte ou cachée, violente ou passive… La révolution est une chose
grande et terrible, ce n’est pas un jeu pour amateurs ou une aventure
romantique » (39). Bien que dans les sociétés capitalistes développées,
l’idéologie et la société civile soient le mode dominant du pouvoir
capitaliste, la coercition reste pourtant le pouvoir ultime déterminant. A la
différence de certains « libertaires » modernes, Gramsci aurait
clairement été d’accord avec le constat de Mao que « la révolution n’est
pas un goûter » parce que l’État capitaliste est un « État
intégral » : « la société politique et la société civile, en d’autres
termes, l’hégémonie protégée par l’armure de la coercition » (40).
Toutefois, la question de la forme actuelle que prend cette coercition, est
pourtant trop rarement posée.
Cette stratégie qui reconnaît le rôle crucial, politiquement
constitutif de la coercition et de la « société politique » (l’État,
les forces armées et la police, les tribunaux, les prisons, etc. sous le
capitalisme) semblerait acceptable aussi longtemps qu’on recherche l’équilibre
« gramscien » entre sociétés politique et civile, et que les formes
des nouvelles institutions et leurs activités ne répliquent pas aveuglément à
la nature inhumaine et répressive de la coercition capitaliste et d’État, qui
érode l’organisation du consensus et les potentiels à long terme pour organiser
un nouvel ordre social participatif et démocratique basé sur un pouvoir
populaire et l’exercice de la « volonté générale ». Gramsci lui-même
admettait la possibilité que « l’élément de coercition de l’État pourrait
dépérir graduellement dans la mesure ou des éléments manifestes de la société
civile apparaissent » (41). Des esquisses audacieuses pour utiliser cette
compréhension humaine « naïve » d’une non-violence radicale devraient
être réalisées dans la construction d’une contre-hégémonie socialiste qui
implique une morale nouvelle plus exigeante, un ethos anticipé de façon
poétique il y a très longtemps : « Si votre ennemi a faim, donnez-lui à
manger (…) En agissant ainsi, vous empilerez des braises ardentes sur sa tète,
c’est-à-dire, vous allumerez le feu de l’amour en lui » (42). Au lieu d’une
approche « superficielle » concentrée sans flexibilité sur des
mesures de police administratives et punitives pour inventer et préserver
l’ordre nouveau, le mouvement et l’ordre nouveau doivent être construits sur la
base d’une popularité et d’un consensus large, ce qui est impossible sans la
capacité de pardon et l’appel aux meilleurs instincts de l’humanité (43) et
aussi sans la capacité de faire des compromis, la volonté de prendre en compte
les intérêts d’autres forces sociales et de les combiner avec les intérêts de
la classe ouvrière. Une avant-garde révolutionnaire qui s’attaque sérieusement
à la construction d’une contre-hégémonie consensuelle a le devoir de mener ses
activités (au sein des mouvements sociaux mais aussi de l’administration publique)
dans l’esprit d’un humanisme authentique, de camaraderie démocratique, de
compréhension et d’anti-sectarisme. La stratégie des alliances de Gramsci
présuppose le rejet de toute forme de « corporatisme ouvrier », parce
que le mouvement unifié contre le capitalisme doit embrasser les intérêts
objectifs de toutes les couches et classes sociales alliées. Une telle
stratégie basée sur la légitimité, est la seule voie pour construire une
hégémonie sociale durable, stable et démocratique. Un nouvel ordre pluraliste
basé sur une alliance tolérante (mais suffisamment cohérente et dirigée) des
forces sociales progressistes doit être en mesure de réduire les dangers d’une
contre-révolution violente.
«Non-violence
révolutionnaire armée»
Le pionnier marxiste américain qui a influencé Gramsci de
façon significative — Daniel De Leon — espérait qu’une majorité parlementaire
ouvrière permettrait une révolution relativement « paisible » (sans
effusion de sang), avec une classe ouvrière qui exercerait son pouvoir extraparlementaire
comme soutien à la victoire parlementaire. Engels aussi indiquait la nature
instructive d’élections comme un baromètre utile (bien qu’imparfait) des forces
et il mettait en garde contre des tentatives d’insurrection prématurées (44).
Gramsci, à l’opposé de son rival politique du PCI, Bordiga, rejetait
l’abstentionnisme et considérait les politiques électorales comme une nécessité
tactique et stratégique. Le parlement est un élément décisif dans lequel se
déroule la lutte pour l’hégémonie et la légitimité de masse. Cependant, le parti doit résister à toute
possibilité de se faire incorporer dans un statu-quo, dans une approche du haut
vers le bas, une adaptation réformiste au système dominant (« révolution
passive » selon Gramsci). Avant la première guerre mondiale, la
« guerre de position » du parti social-démocrate allemand montre les
conséquences catastrophiques de l’opportunisme. Gramsci s’opposait de toutes ses forces contre
toute conception du parti qui l’aurait réduit à une association uniquement
électorale. Il comparait les parlementaires collaborationnistes de classe et
opportunistes à « un essaim de mouches du coche à la chasse d’un bol de
blanc-manger dans lequel elles s’engluent et périssent sans gloire » (45).
La conception de la démocratie de Gramsci ne pouvait simplement pas être
assimilée aux cadres institutionnels quasi -« démocratiques » de la
société capitaliste. Malheureusement, sa critique de la politique électorale et
parlementaire du PSI et du syndicalisme bureaucratique demeura d’une parfaite
actualité dans le monde stalinisé du PCI après la seconde guerre mondiale.
Bien que la conception pluricentrée du pouvoir de Gramsci ne
liquide pas automatiquement le rôle possible d’une insurrection armée, elle la
met dans un contexte socioculturel et politique plus large de l’interaction
complexe qui implique des facteurs alternants, montrant la nature limitée des
stratégies révolutionnaires traditionnelles.
Déjà en 1895, Engels disait « il y a déjà eu de
nombreux (…) changements, et tous en faveur du militaire (…) du côté des
insurgés toutes les conditions ont empiré » (46). Il écrivait que la lutte
militaire des travailleurs avait « plus un effet moral que
matériel », en notant du côté des militaires « la supériorité d’un
meilleur équipement et entraînement, d’une direction uniforme, de l’emploi
planifié des forces militaires et de la discipline » (47).
« Il ne faut pas imiter les méthodes des classes dominantes pour éviter de tomber facilement dans des guet-apens » (48). La stratégie d’une « transformation de la conscience » est un aspect décisif du changement social profond et durable. Gramsci tenait beaucoup au rétablissement du facteur consensuel en politique, et c’est sur ce terrain qu’une des contributions de Gramsci à la théorie de la non-violence pourrait se développer (49). La nécessité d’une hégémonie idéologique et le soutien des masses n’a jamais été plus grande et plus indispensable si on ne considère pas seulement les méthodes sophistiquées de contrôle idéologique capitaliste mais aussi le pouvoir destructif et meurtrier sans précédent de l’État capitaliste et des armées privées. L’approche militariste brute, tout comme une conceptualisation gandhienne simpliste, échoue à tenir vraiment compte de ces dangers — ou de possibilités alternatives. « Se fixer sur le modèle militaire est un preuve de folie : ici aussi, la politique doit être prioritaire par rapport à l’aspect militaire » (50).
Marx reconnaît la possibilité théorique de révolutions
« pacifiques ». « Nous savons qu’il faut tenir compte des
institutions, coutumes et traditions des différents pays ; et nous ne nions pas
l’existence de pays comme l’Amérique, l’Angleterre, et si je connaissais mieux
vos institutions, j’y ajouterais la Hollande, où les travailleurs pourraient
atteindre leurs buts par des moyens pacifiques » (51). La prise de pouvoir
par les bolcheviques s’est aussi effectuée relativement sans effusion de sang,
mais même les rébellions anticapitalistes radicales et relativement
non-violentes ont le plus souvent été suivies par des contre-révolutions
violentes. Il ne faut pas oublier qu’en 1917, Lénine utilisait la perspective
d’une transition pacifique vers le socialisme comme arme de propagande —
probablement indispensable (52). Pourtant, l’existence continue d’un
« noyau irréductible de forces contre-révolutionnaires » aussi bien à
l’intérieur qu’à l’étranger, étatiques et privées, légales, semi-légales et
illégales, et aussi le rôle que joue « la force de l’exemple » auprès
des soldats — devrait nous servir d’indication concernant les limites de la
persuasion verbale pour diviser et désintégrer l’appareil coercitif capitaliste
de l’État et donc de la nécessité d’une « audace de classe concrète et de
combat » (53) dans la rébellion anticapitaliste. Il nous faut donc
repenser de manière créative l’application de ce principe.
La tâche de saper la cohésion interne du capitalisme et de
l’État est absolument décisive. Les révolutions portugaise et vénézuélienne en
particulier (caractérisées toutes deux par un mouvement de jeunes officiers et
de soldats, bien qu’à un degré différent) montrent qu’il est toujours pertinent
de faire exploser le militarisme de l’intérieur » (54).
Essayer de réaliser une révolution relativement sans
effusion de sang, reste une fantaisie fatale sans un travail soutenu à
l’intérieur des forces armées. Le développement et la préservation de bonnes
relations avec les forces militaires (qu’il faut clairement distinguer de la
politique qui les jette souvent dans des conflits sanglants) est une des
priorités absolues du travail révolutionnaire préparatoire. Par des
fraternisations, du travail interne secret, les forces armées devraient être
soutenues comme des gens qui sont hyper-exploités au profit des élites, elles
devraient être transformées en nos alliés les plus forts — sinon, il y a une
grande chance qu’elles ne deviennent nos adversaires les plus terribles. C’est
précisément pour pouvoir minimiser la violence, pour saboter et paralyser le
système militaire de l’intérieur, que la révolution a besoin des forces armées.
L’approche récemment popularisée (de façon imparfaite) par Chavez au Venezuela
« pacifique mais armé » reste probablement l’approche la plus
réaliste et productive. Il
semble raisonnable d’éviter de trop aliéner vos opposants et de travailler vers
les potentiels souvent sous-estimés de non-coopération et d’intervention
relativement non-violente. Jamais on a eu plus besoin d’une synthèse
dialectique supérieure à la place de la vieille dichotomie « violence —
non-violence » et c’est ici que le concept raffiné de la
« non-violence révolutionnaire armée » peut nous aider.
« Ceci
est le cœur de mon argumentation : On peut mettre plus de pression sur
l’antagoniste pour qui nous montrons le souci humain. C’est précisément la
sollicitude pour sa personne, combinée avec une interférence têtue avec ses
actions, qui peut nous donner un degré spécial de contrôle (justement si nous
agissons tous les deux avec amour, si vous voulez — dans le sens où nous
respectons ses droits humains — avec sincérité, dans le sens où nous exprimons
entièrement nos objections à sa violation de nos droits). Nous exerçons sur lui
deux pressions — la pression de notre défiance envers lui et la pression du
respect de sa vie — et il se fait que ces deux pressions combinées sont
efficaces de manière unique. (…) Plus les problèmes réels sont dramatisés et la
lutte élevée au-dessus du niveau personnel, plus ceux en rébellion non-violente
commencent à gagner un contrôle sur leur ennemi (…). L’action la plus
efficace utilise en même temps le pouvoir et engage la conscience. » (55)
>>>
Le travail monumental de Gramsci, lui a valu à juste titre
la renommée d’être un des plus grands dialecticiens du XXe siècle. Une des
leçons les plus claires qu’il peut nous donner se trouve dans la lucidité
générale de son exemple méthodologique. La construction d’une contre-hégémonie
matérielle et idéologique, d’un double pouvoir matériel et d’une
« révolution de la conscience » — la transformation vers le
socialisme — vont exiger un niveau sans précédent de créativité historique.
Malgré certaines ambiguïtés et quelques erreurs et aussi quelques
détournements, il a enrichi la tradition du socialisme par en bas dédié à la
création d’une République démocratique des conseils des travailleurs et des
citoyens, une association de producteurs autogérée. A travers sa vie de
souffrances, dans ses premiers combats et déceptions, l’angoisse terrible et le
travail incertain dans le cachot fasciste, avec un optimisme de la volonté
imbattable, Gramsci a toujours été derrière le drapeau rouge sur lequel était
inscrite la devise « Jamais Esclaves, Jamais Maîtres », accompagnant
une civilisation socialiste nouvelle et démocratique.
Notes
1. Carl
Boggs, Gramsci’s Marxism, Pluto Press, London 1976, p. 30.
2. Antonio Gramsci, Sindicato e consigli 1919, dans Carl
Boggs, ibid. p. 92.
3. Ibid.,
p. 93.
4. Antonio
Gramsci, Workers Democracy, dans Political Writings-I p. 65, dans Carl Boggs,
The Two Revolutions : Gramsci and the Dilemmas of Western Marxism, South End
Press, Boston, 1982, p. 82.
5.
Christine Buci-Glucksmann, Gramsci and the State, Lawrence and Wishart, London,
1980, p. 157.
6. Antonio
Gramsci, Two Revolutions, 1920, Political Writings-I p. 309, dans Carl Boggs,
The Two Revolutions, 1982, pp. 106-107.
7. Antonio
Gramsci, The Modern Prince, Prison Notebooks p. 198, dans Carl Boggs, Gramsci’s
Marxism, Pluto Press, London, 1976, pp. 74-75.
8. Carl
Boggs, ibid., 1976, p. 18.
9. Antonio
Gramsci, Collected Works, vol. 28, pp. 455-456.
10. A.
Gramsci dans Hoare and Nowell-Smith (ed.), Selections from The Prison Notebooks
of Antonio Gramsci, p. 188, cité par Roger Simon, Gramsci’s Political Thought,
Lawrence and Wishart, London, 1991, p.103.
11. A.
Gramsci, Political Writings, 1921-1926, Lawrence and Wishart, London, 1978 dans
Anne Showstack Sasoon, Gramsci’s Politics, University of Minnesota Press,
Minneapolis, 1987, p.364.
12. Pour un
développement plus ample sur ce sujet, voire A. Gramsci, The Occupation, 1920,
Political Writings-I p. 327 dans Carl Boggs, 1982, op. cit., p. 64.
13. A. Gramsci, Il partito e la Rivoluzione, cité par Carl
Boggs, op.cit., 1976, p. 96.
14.
Rinascita, 12 décembre 1964, pp. 17-21, cité par Perry Anderson, The Antinomies
of Antonio Gramsci, New Left Review n° 100, p. 72. Cela peut conduire à des
situations aussi dramatiques que celle des juges, soutenant le parti Communiste
dans le Royaume de Yougoslavie, qui — pour cacher leur affiliation subversive —
devaient prononcer la peine de mort pour d’autres communistes, qui auraient de
toute façon été exécutés.
15. A.
Gramsci, Prison Notebooks pp. 332-333, dans Carl Boggs, 1976, op.cit. p. 34.
16. Carl
Boggs, 1976, op.cit. pp. 56-7.
17. Wilhelm
Reich, What is Class Consciousnes, cité par Carl Boggs, ibid., p. 57.
18. Ibid.,
p. 59.
19. A
propos du modèle « gramscien » de la politique municipale voir par exemple :
Max Jaggi, Roger Muller & Sil Schmid, Red Bologna, Writers and Readers,
London, 1977. Et aussi : Let us Take the City par Lotta Continua.
20. A.
Gramsci, The Intellectuals, Prison Notebooks, p. 9, dans Carl Boggs, 1976,
op.cit., p. 76.
21. Ibid.,
p. 76.
22. A.
Gramsci, The Intellectuals, dans Hoare and Nowell-Smith (ed.), op.cit., p.1 0.
23. Quintin
Hoare and Geoffrey Nowell Smith (ed.), op.cit., p. 182 dans Roger Simon,
Gramsci’s Political Thought : An Introduction, Lawrence & Wishart, London,
1991, p. 43.
24. V. I.
Lenin, The Discussion on Self-Determination Summed Up, Sbornik
Sotsial-Demokrata No. 1., 1916 -
http://www.marx.org/archive/lenin/works/1916/jul/x01.htm .
25. Voir
par exemple A. Gramsci, State and Civil Society, Prison Notebooks, p.240 dans
Boggs, 1982, op.cit., p. 140.
26..
Antonio Gramsci, Écrits politiques, Gallimard, Paris, 1975, p. 366 dans
Christine Buci-Glucksmann, op.cit., p. 166.
27.
Valentino Garratana (ed.), Antonio Gramsci, Quaderni del Carcere, III, Turin
1975, pp.1612-13 cité par Perry Anderson, The Antinomies of Antonio Gramsci,
New Left Review n° 100, p. 19.
28. Lenin,
What is to be Done, cité par Perry Anderson, ibid., p. 16.
29.
A.Gramsci, Prison Notebooks, Lawrence and Wishart, London, 1971, pp. 181-182
dans Roger Simon, 1991, op.cit., p. 32.
30. Quintin
Hoare and Geoffrey Nowell Smith (ed.), State and Civil Society, Selections from
the Prison Notebooks, Lawrence and Wishart, 1971, p. 235 dans Carl Boggs, 1982,
op.cit., p. 188.
31. Carl
Boggs, 1976, op.cit., p. 18.
32. Antonio
Gramsci, Political Writings-I, op.cit., p. 30.
33. Antonio Gramsci, Il Grido, 1916 dans Carl Boggs, 1976,
op.cit., p. 59.
34. Carl
Boggs, 1976, ibid., p. 40.
35. Antonio
Gramsci, Socialism and Culture in History, Philosophy and Culture, 1916, pp.
20-21 dans Carl Boggs, 1984, op.cit., p. 45.
36. A.
Gramsci, State and Civil Society, Prison Notebooks, p. 238 dans Boggs, 1984,
ibid., p. 48.
37. V.I.
Lenin, Marxism and Insurrection: A Letter to the Central Committee of the
RSDLP, Lenin’s Collected Works, Progress Publishers, Moscow, Volume 26, 1972,
pp. 22-27.
38. Pour un
plus long développement de cette question on peut se reporter à mon article «
Time Factor in Insurrections », Strategic Analysis, Vol. 32, n° 3, mai 2008.
39. A.
Gramsci, Ordine Nuovo, Lo Stato e il Socialismo dans Christine Buci-Glucksmann,
op.cit., pp. 380-382.
40. A.
Gramsci, Prison Notebooks, op.cit., p. 262.
41. Ibid.,
p. 263.
42. Reuven
Kimelman, Nonviolence in the Talmud, in Robert L. Holmes (ed.), Nonviolence in
Theory and Practice, Waveland Press, Prospect Heights, 2001, pp. 24.43. Rosa
Luxemburg a exprimé cette vision humaine progressiste de façon brillante : «
Pendant les quatre années de ce carnage des peuples, le sang a coulé à flots.
Il faudrait aujourd’hui garder chaque goutte de ce liquide précieux dans des urnes
de cristal. L’activité révolutionnaire et un humanitarisme profond — ce sont
les seuls vrais visages du socialisme. Il faut mettre le monde sens dessus
dessous. Mais chaque larme qui coule, si elle pouvait être évitée, est une
accusation et celui qui, par inadvertance, écrase un lombric, commet un crime.
» (Rosa Luxemburg, Against
Capital Punishment, Die Rote Fahne, n° 3, 18 November 1918 :
http://marx.org/archive/luxemburg/1918/11/18c-alt.htm)
44.
Friedrich Engels, Introduction to Karl Marx’s The Class Struggles in France
1848 to 1850, MECW, Vol. 27, pp. 506-24,
http://www.marxists.org/archive/marx/works/1895/03/06.htm.
45. A.
Gramsci, dans Chris Harman, Gramsci versus Reformism, Socialist Workers' Party,
London, 1977, p. 8.
46.
Friedrich Engels, op. cit.
47. Ibid.
48. Antonio
Gramsci, Prison Notebooks, State and Civil Society dans Paul Le Blanc (ed.),
From Marx to Gramsci : A Reader in Revolutionary Politics, Humanity Books, New
York, 1996, p.317.
49. Même si Gramsci n’a certainement pas exprimé un intérêt
pour la non-violence en tant que telle, « l’élasticité » ou la nature ouverte
de sa théorie, propose plusieurs voies possibles, divergentes et créatives,
d’un développement théorique et pratique.
50. Antonio Gramsci, dans Paul Le Blanc, ibid., p. 317.
51. K Marx, F Engels Collected Works, Vol 23, London 1988,
p. 255 dans Jack Conrad, Formulation Nine and the Possibility of Peaceful
Revolution, Weekly Worker 448, September 19, 2002 - http://www.cpgb.org.uk/worker/448/peaceful.html.
52. V.I. Lenin, Collected Works Vol. 24, Moscow 1977, p.120
; V.I. Lenin, Collected Works Vol. 25, Moscow, p. 23 ; V.I. Lenin, Collected
Works Vol. 25, Moscow 1977, p. 55, dans Perry Anderson, ibid.
54.
Friedrich Engels, The Force Theory, dans Bernard Semmel (ed.), Marxism and the
Science of War, Oxford University Press, 1981, p. 54 dans Martin Shaw,
Dialectics of War, Pluto Press, London, 1988, p. 51.
55. Barbara
Deming, On Revolution and Equilibrium, in Robert L. Holmes, op.cit., Waveland
Press, Prospect Heights, 2001, pp. 100-102.
Dan Jakopovich, militant
socialiste démocratique croate, est rédacteur de Novi Plamen (Nouvelle Flamme, un
magazine de gauche diffusé dans l’ensemble de l’ex-Yougoslavie. (Traduit de
l’anglais par M. C. et H. P.)